
Cela fait désormais 15 ans que j’écoute assidument de la musique brésilienne. Beaucoup de coups de cœur passés sont aujourd’hui de bons souvenirs. Cartola lui reste mon présent. Je l’écoute inlassablement, j’essaie – maladroitement – de le jouer – au piano ou à la guitare. Malgré les heures innombrables passées en sa compagnie, je n’ai pas fini de m’en abreuver. Si je vous ai déjà parlé de ses deux chefs-d’œuvre, je me tourne aujourd’hui volontiers vers son dernier disque, sorti de manière posthume en 1982. Disque est un bien grand mot d’ailleurs, car c’est une simple une émission enregistrée par Aluizio Falcão* pour Rádio Eldorado en 1979. C’est aussi un bien petit mot pour ce qui est le testament d’un immense musicien.
Cartola a alors 71 ans. Le voici seul avec sa guitare, sa voix, ses compositions. C’est quelque chose de rare dans la samba, peu familière de l’auteur-compositeur-interprète comme on les connait ailleurs à la Brassens, Atahualpa Yupanqui ou Bob Dylan**. La samba est une fête qui appelle une foule de musiciens, indispensables pour traduire la polyphonie et la polyrythmie qui en font son essence et sa beauté.
Mais Cartola nous le montre, la samba peut être aussi belle dans sa nudité, sa solitude, sa fragilité. Ce sont, quelques notes égrenées sur les cordes de sa guitare par ses doigts vieillissants. Sa voix, marquée par les années mais plus belle que jamais. Et ses sambas. D’une richesse harmonique époustouflante à faire rougir la bossa nova, des mélodies immortelles, qui servent d’écrin aux textes du plus grand parolier de la samba. Cartola chante anciennes et nouvelles compositions. La douleur déguisée en sourire (Quem Me Ve Sorrindo) ; la beauté du monde révélée par la nature (Que Sejam Bem Vindos, Dê-me Graças, Senhora). Il murmure les mots fatals qui mettent fin à l’histoire d’amour, quand la délicatesse s’efface devant l’implacable brutalité de la rupture amoureuse (Acontece, Senões). Il chante enfin la vieillesse, le « printemps impossible » (Autonomia). Cartola décède un an après cet enregistrement. L’hiver de son temps était arrivé, comme s’intitule un des morceaux (O inverno do meu tempo). Mais Cartola nous laisse ses sambas, comme autant de fleurs de son éternel printemps.
Cartola – Documento Inédito (Eldorado, 1982 – réédité par Polysom)
*Aluizio Falcão est un nom important de la musique brésilienne des années 70. Il a été directeur artistique du label Marcus Peira où il a sorti de nombreux chefs d’oeuvre, dont le premier album de Cartola. Il était également impliqués dans la production d’albums essentiels de Donga, Osvaldinho da Cuíca, Geraldo Filme, Elton Medeiros, Guilherme de Brito, Baden Powell, Paulo Vanzolini, Paulinho Nogueira, Henricão, Nelson Cavaquinho, Clementina de Jesus, Toquinho pour la samba, mais également de disques importants sur la musique de son Nordeste natal.
**Les disques en « solitaire », où l’auteur-compositeur-interprète est seul avec sa voix et son instrument sont très rares. Mais si on l’éloigne de la samba stricto sensu peut citer des rares disques de Dorival Caymmi, de Caetano Veloso (Joia), de João Gilberto, Chico Cesar, ou Seu Jorge (the life aquatic studio sessions). Mais dans la samba?