Manacéia, de son vrai nom Manacé José de Andrade est de ceux qui ont grandi comme homme et musicien dans le terreau fertile des écoles de samba. Dès 6 ans, un de ses oncles l’emmène dans les blocos de carnaval du quartier d’Osvalwdo Cruz à Rio de Janeiro, qui allaient, sous l’impulsion de Paulo da Portela devenir la fameuse école de samba de Portela. C’est là qu’il fait toute son éducation musicale et apprend à jouer du tamborim. A partir de 1942, alors que Portela est à son apogée et collectionne les titres de champion du carnaval, Manacéia s’affirme pendant 10 ans comme le compositeur attitré de samba enredo de l’école. Quand une nouvelle génération de compositeurs incarnée par Candeia et Altair Prego vient le concurrencer, l’humble Manacéia préfère s’effacer et passer à autre chose.
Manacéia se consacre alors sa jeune famille. Il a épousé son grand amour Dona Nenê en 1951 et travaille dans une usine de glace et comme serrurier. Il reste cependant toujours aussi lié à Portela et aux sambistes de sa génération, ses deux frères Mijinha et Aniceto da Portela, mais aussi, Argemiro da Portela, Alberto Lonato, Chico Santana, Casquinha, Monarco et Jair do Cavaquinho.
Ce n’est qu’en 1970, âgé de près de 50 ans qu’il forme avec ces derniers, la Velha Guarda da Portela, regroupant la « vieille garde » de musiciens et de compositeurs de Portela. Parrainé et produit par le jeune et déjà célèbre prodige de Portela, Paulinho da Viola, le groupe entre en studio pour enregistrer Portela, Passado de Glória. Un classique qui sera suivi par de nombreux autres.
Comme les albums de la Velha Guarda contiennent des morceaux de tous ses membres, Manacéia ne nous livre ses compositions qu’au compte goutte, pas plus d’une par album. Une cruelle parcimonie, tant ses sambas sont en règle générale les meilleurs des disques de la Velha Guarda. Car aussi surprenant que ça puisse paraître, Manacéia n’a jamais enregistré d’album solo. Il ne doit même pas avoir à son actif plus d’une grosse dizaine de compositions enregistrées !
Le meilleur témoignage de son œuvre est donc une émission télé, Ensaio de TV Cultura, sans doute enregistrée dans le seconde moitié des années 1980. Fidèle au principe de l’émission, Manacéia alterne chansons et passages interviewés, sans doute accompagné par des membres de la Velha Guarda, mais en formation un peu plus réduite que d’habitude. On retrouve d’autres superbes voix qui l’accompagne en chœur, ce qui est un peu la marque de fabrique de la Velha Guarda da Portela.
L’émission commence par le plus grand succès de Manacéia, Quantas Lágrimas qui ouvrait le premier album de la Velha Guarda, puis fut popularisé auprès du grand public par Cristina Buarque. Il chante ensuite un morceau populaire durant sa jeunesse Sai pra lá brocoió, puis une composition de chacune de ses deux frères musiciens Chega de padecer et Não Há Mais Amor.
Suivent alors une série de morceaux de sa composition, tous aussi poignants les autres que le autres, et dont la plupart sont inédits. Manacéia interprète la samba enredo de Portela pour le carnaval de 1952 où il évoque l’esclavage (Brasil de ontem) et une samba historique sur Pedro Álvares Cabral et sa « découverte » du Brésil. On peut aussi noter un hommage à la grande chanteuse Clara Nunes, la « marraine » de Portela, décédée quelques temps avant (Flor do interior) et une reprise du maître Paulo da Portela rendant hommage à l’école de samba Unidos do Morro Azul.
Se détachent surtout ses sambas romantiques, dans lesquelles il chante la beauté de la nature (A Natureza) ou du petit matin brésilien (Manhã Brasileira) et bien sûr le thème éternel, où son lyrisme atteint son apogée. Manacéia ne chante pas l’amour dépité ou trahi, sujet de tant de samba, mais la passion partagée, bien que parfois contrariée. Il évoque celui qui a abandonné une femme et se rend compte qu’il l’aime encore (Inesquecível amor), ou un amour brûlant mais interdit, entre deux fiancés promis à d’autres (Amor prohibo). Et des pures déclarations d’amour, sans une once de mièvrerie, désarmantes de sincérité (Minha querida, Sempre Teu Amor). On comprend pourquoi la « mémoire de la samba », Cristina Buarque, le citait comme son compositeur préféré aux côtés de Cartola.
Parmi les amateurs de musique, beaucoup se pâment devant les vinyles qu’ils collectionnent avec passion. Si une bonne qualité audio est appréciable, je reste convaincu que ce fétichisme n’a pas grand-chose à voir avec l’amour de la musique. Qu’importe que la musique soit gravée sur cassette, CD, vinyle ou mp3. La musique ça s’écoute, ça ne se collectionne pas ; comme le chantait le sambiste Wilson Batista, « à part les fleurs, rien ne va dans la tombe » (além de flores, nada mais vai no caixão). Que la beauté de ces médiocres mp3 de Manacéia en soient la preuve.