Donga – A jamais le premier

On le présente souvent comme l’homme du tout premier samba enregistré, Pelo Telefone, en 1916. Ce serait déjà suffisant pour lui ériger une statue. Mais Donga, c’est bien plus qu’une date ou une anecdote discographique. C’est un témoin direct de ce que fut la samba à sa naissance : populaire, métissée, urbaine, affranchie. Le genre est né de mille voix – lui en fut l’un des plus clairs éclats. Il fut des réunions chez la Tia Ciata et des cérémonies de candomblé dans le quartier de la « pequena africa » de Rio de Janeiro ;  il joua aux côtés de Pixinguinha au sein des Oito Batutas puis participa à l’enregistrement historique Native Brazilian Music.

Et pourtant, il fallut attendre près de 60 ans pour qu’un LP porte son nom ! Ce fut en 1974, à l’initiative du label Discos Marcus Pereira, encore lui. Donga avait alors 84 ans. Sa voix, bien sûr, porte les années, alors il laisse le chant à d’autres, à Almirante, Elizeth Cardoso et Leci Brandão. Il y a bien un enregistrement de sa voix qui clôture le disque mais il date de quelques années précédentes.

Qu’importe après tout, la plupart des morceaux sont instrumentaux. Joue-t-il même sur le disque? Probablement pas. Je l’imagine dans le studio, assis sur une chaise dans un coin, à écouter vieux compagnons et jeunes loups reprendre son répertoire: Dino 7 cordas, Abel Ferreira, Canhoto, Joel Nascimento… peut-être donne il quelques indications ou préfère-t-il se perdre dans ses souvenirs? 

On entend, dans chaque note, un peu du monde d’avant :  les premières écoles de samba, l’époque où Pixinguinha, João da Baiana, Sinhô ou Heitor dos Prazeres créaient un genre pas encore figé. Donga, c’est ce pont entre le modinha, le maxixe, le choro et la nouvelle samba. Une musique populaire mais exigeante, comme en témoigne la composition co-signé avec nul autre que Heitor Villa Lobos.

Ce disque est aussi une revanche tardive. Donga vient d’une époque où la samba était fêtée mais marginalisée. Il avait vu ses contemporains disparaître, la samba et le choro se transformer, et son nom lentement glisser vers les livres d’histoire. Ce disque est son dernier mot, au sens propre puisque Donga mourut durant l’enregistrement. Alors on l’écoute, pour reprendre le nom du roman de Zoé Oldenbourg, avec « joie-souffrance » ; un joli mot valise pour à cette musique de fête et de larmes.

Donga, Discos Marcus Pereira , 1974

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