Certains musiciens naissent si ce n’est avec une cuillère en argent dans la bouche, du moins une clé de sol dans les oreilles. D’autres doivent se battre pour devenir musiciens professionnels. C’est ainsi que Joaquim de Lima Vieira a fait preuve d’une impressionnante persévérance.
Il naît en 1934 à Barcarena, une petite ville du Pará, de parents agriculteurs. Il commence la musique très jeune en jouant de la musique régionale au banjo mais souhaite jouer de la mandoline. Il va jusqu’à Belém, capitale du Pará pour s’en acheter une. Mais l’instrument coûte trop cher, et il demande donc à son frère de lui en fabriquer une. La peine n’est pas perdue puisqu’avec cet instrument, il gagne à 15 ans un concours musical organisé au Pará. Mais il souhaite bientôt s’initier à la guitare électrique qui commence à être popularisée au BrésiL. Mais il n’a ni amplificateur, ni électricité chez lui… Il ne se démonte pas, et utilise sa formation en réparateur de radio pour fabriquer lui-même un amplificateur à piles à partir de batteries de voiture !
Vieira joue alors à la guitare électrique les musiques caribéennes diffusées sur les radios paraenses : cumbia colombienne d’Alfredo Gutiérrez et des Corraleros de Majagual, merengue dominicain…Mestre Vieira sort son premier album seulement en 1978 âgé déjà d’une quarantaine d’année, ce qui témoigne de la difficulté d’alors des musiciens du Pará d’accéder aux studios concentrés à Rio de Janeiro et São Paulo. L’album intitulé, Lambada das quebradas, inaugure rien de moins qu’un nouveau style musical, la guitarrada, un mélange de carimbó local et de sons caribéens pour la rythmique mais aussi un peu de rock-jovem guarda pour l’usage de la guitare électrique et la tonalité très ballade de l’ensemble.
Ce mélange détonnant rappelle la rénovation de la cumbia colombienne par le Péruvien Enrique Delgado une décennie plus tôt au sein de Los Destellos. Même fraîcheur, même naïveté aussi peut-être avec ces paroles très simples, un rythme joyeusement entraînant, sans parler de la pochette ornée de fesses luisantes. On est ici bien loin du chic et du sérieux de la MPB triomphante à l’époque. Et pourtant, les albums de Vieira ont bien mieux vieillis que ceux de beaucoup de gloires de la MPB bien plus « respectables » mais au style qui parait aujourd’hui compassé.
Lambada da quebradas se vend à 80.000 exemplaires et le suivant logiquement intitulé Lambada das quebradas vol. 2, atteint les 230.000 ! Phénoménal, surtout pour de la musique « régionale ». Le succès ouvre la voie à la lambada, le pendant chantée de la guitarrada et inspire des musiciens comme Aldo Sena, Curica, et Pinduca avec le quel le style connaît son apogée commerciale.
Les années 1990 marquent le succès de la lambada à l’international avec le fameux tube de l’été du même nom. Mestre Vieira n’en profite nullement et entame au contraire à l’époque une traversée du désert. Il revient néanmoins sur scène en 2003 au sein des Mestres da Guitarrada qui rassemble les anciens héros de la guitarrada réunit par le jeune musicien Pio Lobato. Et en 2014, bien qu’il approche les 80 ans, Mestre Vieira aussi pimpant que jamais, joue toujours sa guitarrada créée quatre décennie ans plus tôt.