Adoniran Barbosa est la preuve que Vinicius de Moraes se trompait quand il disait que São Paulo était le « tombeau de la samba ». Car s’il n’est pas le seul sambiste de São Paulo, il est le premier, à avoir donné une identité paulista à la samba carioca et celui qui aura su mieux que nul autre chanter cette ville.
João Rubinato de son vrai nom, nait en 1910 à Valinhos, dans une famille modeste d’origine italienne. Une origine banale dans l’État de São Paulo qui regroupe près de 15 millions de personnes d’ascendance italienne. Il commence à travailler dès 13 ans comme vendeur ambulant, plombier, serrurier, serveur et ouvrier dans des usines de tissue et de métallurgie, tout en caressant le dessein de devenir acteur. Après de nombreux échecs, il se tourne vers la radio alors en plein essor, où il est finalement embauché en 1936. Il entreprend une carrière d’animateur radio et d’humoriste, où il interprète notamment dans l’émission Historias das Malocas, les personnages créés par le jeune prodige de l’époque, Osvaldo Moles. C’est à cette époque qu’il prend le pseudonyme d’Adoniran Barbosa, conjugaison du nom d’un ami et de son idole, le chanteur Luiz Barbosa, pseudonyme qui lui permet de cacher son patronyme italien.
Dans les années 1950, Adoniran Barbosa qui avait déjà composé quelques chansons, dont une qui a gagné un prix au carnaval local de 1935, souhaite à nouveau percer dans la musique. Les échecs des quelques 78 tours qu’il publie l’éloignent de l’interprétation. Ses compositions rencontrent néanmoins le public par l’intermédiaire de divers interprètes, en premier lieu desquels, le groupe vocal Demônios da Garoa. Certains de ses titres tels que Saudosa Maloca puis, Conselho de mulher, As mariposas et Trem Das Onze, sont de grands succès. Durant la décennie suivante, Adoniran Barbosa continue de jongler entre ses casquettes d’auteur-compositeur, d’animateur radio, et même d’acteur de cinéma et de telenovelas, au gré des opportunités et des revers commerciaux.
La soixantaine grisonnante et alors qu’il traverse une période de vache maigre, Adoniran Barbosa rencontre finalement la reconnaissance qu’il a cherchée toute sa vie. Dans la vague de redécouverte de la musique brésilienne « authentique », de la première moitié des années 70, l’ami et admirateur Pelão, qui venait de produire le grand sambista Nelson Cavaquinho et s’apprêtait à en faire de même pour Cartola, offre à Adoniran Barbosa la possibilité d’enregistrer à son tour son premier LP.
Les deux premiers albums d’Adoniran Barbosa sortent en 1974 et 1975. Peu de chansons sont inédites et pourtant, l’interprétation unique d’Adoniran Barbosa, sa voix rauque et sincère, abîmée par l’âge et la cigarette, loin des coquetteries des précédents interprètes et soutenue par les arrangements plus sobres de José Briamonte offrent un tout nouvel éclat à ses sambas.
La grandeur des sambas d’Adoniran Barbosa se révèle et est enfin reconnue à sa juste valeur par le grand public et par la critique. Une évidence s’impose alors : São Paulo a bien une samba et Adoniran Barbosa en est son plus grand représentant.
Il s’agit d’une samba chantée avec l’accent et l’argot italo-caipira du peuple de São Paulo, qui mêle métisses et immigrés italiens, dans une langue qui prend souvent des libertés avec la grammaire. Une samba moins sentimentale et lyrique que celle de Rio de Janeiro, mais plus urbaine, chargée d’ironie et de malice. Adoniran Barbosa y dépeint de manière amusante et tragique à la fois, le quotidien du São Paulo populaire à travers de petites scènes souvent proches de l’anecdote ou de l’histoire drôle.
Il chante la joie de celui qui a construit sa baraque dans une favela (Abrigo de vagabundo), l’infortuné qui se déguise en Père-Noël pour faire une surprise à sa famille et reste coincé dans la cheminée (Vespéra de Natal). Il chronique les peines de cœur (Não quero entrar, Bom dia tristeza avec Vinicius de Moraes, Prova do carinho) et les disputes amoureuses où il raconte avec humour la lâcheté et l’hypocrisie des amants. Cette femme qui quitte son mari en prétextant faire des courses, en lui laissant comme mot d’adieu « tu peux éteindre le feu, car je ne reviens pas ». Ce fêtard laissé à la porte de chez lui en pleine nuit et qui tente de convaincre sa belle de lui lancer la clé (Joga a chave). Un homme qui pleure son amour et n’a plus comme souvenir que les chaussettes de sa bien-aimée (Iracema) ou des noces où le fiancé se révèle être cinq fois marié et père de sept enfants (Casamento do moacir).
Il chante enfin la São Paulo de son enfance, celle de son premier amour et de son premier carnaval (Vila Esperança) et des fêtes trop bruyantes pour le voisinage (Aguenta a mão joão). Il chante aussi la São Paulo du progrès effréné (Conselho de Mulher) qui détruit les lieux des souvenirs (Viaduto Santa Efigênia, Praça da Sé) et dont les bulldozers implacables, rasent les baraques des favelas et en chassent les habitants (Despejo na favela).
Já fui uma brasa dresse l’autoportrait d’un musicien en fin de course, déjà oublié et dépassé à l’heure du rock, semblable à la braise éteinte, mais dont un souffle suffirait pour qu’elle brûle à nouveau. Un morceau annonciateur puisqu’à la suite de ces deux albums, Adoniran Barbosa renoue avec le succès d’antan. Un second souffle qui lui fait parcourir tout le Brésil dans une grande tournée, et enregistrer un troisième et dernier album pour ses 70 ans où il interprète ses chansons avec certaines des plus grandes stars de l’époque, Elis Regina, Clementina de Jesus, Clara Nunes, Djavan, et Gonzaguinha. Le dernier souffle aussi, puisqu’il décède peu après, en 1982 restant à jamais, la voix de São Paulo.
Adoniran Barbosa – Adoniran Barbosa, 1974, 1975. Odeon. Acheter sur itunes ou écouter sur youtube, deezer.
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