C’est avec plaisir qu’on voit fleurir les rééditions de pépites funk, rock ou jazz venues du Brésil ou du reste du monde. Mais on ne peut s’empêcher de regretter que ces diggers de groove ne s’attachent pas un peu plus aux musiques « endémiques », reflets de la diversité musicale du monde et pas seulement aux ersatz de styles nord-américains. Car, quoi qu’on dise, c’est bien là que se trouvent les chefs d’œuvre. Même la samba, qui a pourtant su s’exporter avec succès, mériterait quelques rééditions soignées. C’est ainsi que l’unique et merveilleux album solo de 1976 de l’immense sambista Carlos Cachaça est aujourd’hui introuvable.
La vie qui mène Carlos Cachaça jusqu’à son unique album est assez représentative de celles des pionniers de la samba. Il naît en 1902, à Mangueira même, un quartier sur les hauteurs de Rio de Janeiro à l’époque encore quasi rural. Son père travaille à EF Central do Brasil, une compagnie ferroviaire qui y logeait nombre de ses employés. C’est en effet là qu’ était située la première station de chemin de fer depuis le centre de Rio de Janeiro, qui donnera d’ailleurs son nom à l’école de samba « Estaçao primeira da Mangueira« . Carlos Cachaça suivra les traces paternelles en travaillant toute sa vie au sein de la compagnie ferroviaire.
Mais c’est sa « carrière » de musicien qui nous intéresse. Adolescent, il joue du pandeiro dans le groupe de Mano Elói, leader syndicaliste, chanteur, compositeur, mais également pai-do-santo dans un terreiro de candomblé. Selon Carlos Cachaça, c’est Mano Elói qui apporte le premier la samba au morro de Mangueira, ce qui témoigne du lien fondamental entre samba et candomblé. C’est à cette époque que Carlos Moreira de Castro de son vrai nom, commence à être surnommé Carlos « Cachaça », en référence à sa boisson préférée. C’est surtout là qu’il rencontre Cartola, qui allait devenir son grand ami, son beau frère et son partenaire musical pour la vie. Avec lui et quelques autres, ils fondent le Bloco dos Arengueiros qui deviendra plus tard la fameuse école de samba de Mangueira, peut être la plus grande de toute.
Dans les années 1930, avec l’essor de la samba, Carlos Cachaça compose régulièrement pour Mangueira et nombre de ses chansons sont choisies pour représenter l’école lors du Carnaval de Rio. Il est d’ailleurs le premier à composer sur un thème historique, ce qui allait devenir une caractéristique des sambas-enredos, le nom donnée aux samba jouées lors des défilés.
Ses sambas sont en revanche peu chantées par les chanteurs de radio, à l’exception notable de Não quero mais amar a ninguém composé avec Cartola et Zé da Zilda et qui est enregistré par Aracy de Almeida. Il est cependant un compositeur reconnu par ses pairs, comme en témoigne son invitation, aux côtés de la crème de l’époque pour la soirée de gala qui se tient sur le paquebot Urugay. Il en sortira le disque historique Native Brazilian Music où figure sa samba, Quem me vê sorrindo chantée par son co-auteur Cartola.
Son activité reflue dans les années 40-50, à l’image de la samba elle même mais on retrouve Carlos Cachaça au retour de la samba, dans les années 60. Il est ainsi présent sur Fala Mangueira! qui rend hommage à son école, aux côtés de Nelson Cavaquinho, Clementina de Jesus, et bien sûr Cartola. Dans les années 70, il participe également à un autre disque dédié à Mangueira ainsi qu’à un album aux côtés de Clementina de Jesus. Mais c’est son unique LP solo sorti en 1976 qui permet mieux d’appréhender son formidable talent.
Aux manettes du disque, on retrouve Pelão, le grand producteur de disques de samba, derrière les meilleurs enregistrements d’Adoniran Barbosa, Nelson Cavaquinho et Cartola. On n’est donc pas surpris de retrouver des musiciens de premier plan au casting dont Meira à la guitare, Waldir à la guitare à sept cordes, Canhoto au cavaquinho, Copinha à la flûte, Raul de Barros au trombone, Jorginho do Pandeiro et Marçal aux percussions.
Le disque s’ouvre par deux morceaux composés avec Cartola, Todo Amor, le succès Quem me vê sorrindo repris quelques années auparavant par Paulinho da Viola et se clôt sur le classique absolu Alvorada également co-écrit par Cartola. C’est en effet avec ce dernier qu’il a composé ses titres les plus connus, dont outre les précités, Ciência e arte, Silêncio de um cipreste, et Tempos idos.Il est frappant de voir que Cartola est devenu une icône au Brésil tandis que Carlos Cachaça reste connu des seuls initiés. Le statut de Cartola n’est pas démérité, étant peut-être le plus grand sambista de tout les temps. Pourtant l’oubli de Carlos Cachaça reste injustice. Les douze morceaux que comporte l’album, tous composées par lui, en sont la plus belle preuve. Ils sont sans exception magnifiques, tels les désabusés Amor de Carnaval et Juramento Falso, ou le poignant chant d’amour Clotilde dédié à sa femme avec laquelle il vécut 45 ans. Ils révèlent que loin d’être seulement le sparring partner de Cartola, Carlos Cachaça fut un pionnier de la samba, un pilier de l’école de Mangueira et un auteur-compositeur d’exception, mélodiste délicat et cartographe appliqué du tendre.
Carlos Cachaça – (Continental, 1976).