On loue souvent le Brésil métissé, creuset des cultures africaines, européennes et amérindiennes. On retrouve cependant au Brésil des formes d’art exclusivement rattachées à une population, formes qui ont parfois presque disparu de leur lieu d’origine. C’est ainsi que le berimbau très populaire au Brésil est en déclin en Afrique ou que la Romance da Nau Catarineta est plus vivace au Brésil qu’au Portugal.
On désigne sous ce nom de Romance da Nau Catarineta une très vieille légende qui remonte au XVIème siècle, aussi connue sous les noms de Barca, Fandango ou Marujada. La Romance est encore racontée dans le Nordeste brésilien, où se s’installèrent les premiers conquistadors et qui reste le territoire où perdurent les traditions les plus anciennes. Cette légende est célébrée sous forme de spectacles populaires qui mêlent théâtre, danses et chants et qui en font de véritables opéras de rue.
Nau Catarineta à João Pessoa, 1938, réalisé par la Missão de Pesquisas Folclóricas
Viva a Nau Catarineta! est issu d’une captation audio live de 1977 effectuée à João Pessoa, capitale de l’État du Paraíba, qui ne permet malheureusement pas de retranscrire le spectacle total dont il s’agit. Dans les notes d’accompagnement du disque, le professeur Altimar de Alencar Pimente nous résume l’histoire. Dans cette variante, l’histoire commence par une bataille entre Espagnols et Portugais. Les Portugais du navire (nau) Catarineta somment l’infidèle commandant de la Forteleza de Dio de libérer « la belle et blonde bergère (Saloia) » et l’équipage du navire Boa Esperança. Mais le commandant Rodolfo de Mascarenhas, « fierté de la marine espagnole », ne se laisse pas intimider et décide de les combattre. Les Portugais sortent vainqueur de la bataille et libèrent les captifs. Suivent plusieurs chants qui rendent hommage à la victoire, célèbrent le débarquement à terre et remercient la vierge Marie pour le retour sain et sauf.
D’autres chants du disque évoquent les joies et les peines de la vie de marin. Le climax est indéniablement la Romance da Nau Catarineta. Ce superbe chant épique évoque l’errance de l’équipage du Catarineta pris dans une tempête et qui erre en mer pendant sept ans et un jour. Il raconte la faim et la soif qui tourmentent les marins, les querelles jusqu’à la décision de manger un membre de l’équipage. L’heureux élu, dans son désespoir, tente de marchander avec le Diable, qui refuse ses richesses et la main de sa fille, mais lui promet la vie sauve contre son âme, ce que le marin en bon chrétien refuse, avant d’être sauvé in-extremis par la fin de la tempête et l’apparition de la côte.
Ce magnifique disque s’inscrit dans le remarquable travail du label Discos Marcus Pereira qui s’est attaché à dresser la « carte musicale du Brésil ». Il a pour cela, au delà de la samba, ou du choro enregistré les grands artistes et styles populaires « régionaux ». Ce terme un peu réducteur désigne les musiques produites hors de l’axe Rio de Janeiro-São Paulo et délaissées par l’industrie musicale, mais dont Marcus Pereira a tiré de véritables trésors : Papete, Grupo Acaba, Banda de Pífanos de Caruaru, Quinteto Violado, Elomar, Frevo ao Vivo. Et bien sûr cette Nau Catarineta, qui après avoir erré en mer « sept ans et un jour » pouvait bien attendre 40 ans pour atteindre les mélomanes français.
Grupo Folclórico da Nau Catarineta – Viva a Nau Catarineta! (Marcus Pereira, 1977).
L’album n’ayant jamais été réédité en CD je vous propose de le télécharger.