Une interview des trois membres fondateurs de Metá Metá réalisée en avril 2012 à l’occasion de leur passage à Paris.
Bonjour Samba: MetaL MetaL regorge de plein d’influences très différentes. Donc pour commencer, d’où venez vous tous les trois ?
Kiko Dinucci : Beaucoup de personnes nous positionnent exclusivement dans la chose africaine. C’est vrai qu’on est influencé par la musique africaine, qui vient de la présence africaine au Brésil, de notre expérience avec la religion afro-brésilienne… Mais ce n’est qu’une partie de nos influences.
Juçara Marçal : Nous nous sommes rencontrés en jouant des concerts à São Paulo.
Kiko Dinucci: On jouait du choro, de la samba, d’autres genres brésiliens. Juçara avait un contact avec la musique de l’intérieur du Brésil. Et on a des influences personnelles aussi, Thiago écoute John Coltrane depuis l’adolescence. Chacun de nous apporte son bagage personnel, sa vie. Moi j’avais un groupe de punk-rock dans mon adolescence.
Juçara : Je crois que surtout nous avons une façon de jouer, de travailler ensemble qui nous offre la liberté d’apporter dans notre travail ce qui fait partie de notre vie. Kiko ne dira jamais « ça vient de l’intérieur du Brésil, on n’en veut pas ». Si ça fait sens pour la musique, nous le jouons.
Dans les disques de Metá Metá, des morceaux sont des pontos de candomblé, des chants religieux afro-brésiliens…
Juçara : ce sont des enregistrements que nous écoutons. Beaucoup de disques existent depuis le début du siècle passé. Et nous fréquentons aussi les cultes de candomblé, d’umbanda.
Comment les adeptes du candomblé ou d’autres religions afro-brésiliennes reçoivent votre musique?
Kiko Dinucci : Beaucoup de personnes de nos concerts sont de ces religions et beaucoup ne le sont pas. Beaucoup viennent plus pour la musique que pour la thématique religieuse. Metal Metal parle exclusivement des orixas.
Mais le premier disque du groupe parlait de São Paulo, des rencontres amoureuses. Peut-être que dans le prochain disque il n’y aura rien sur la religion. Ce n’est pas une obligation. Sinon, les personnes religieuses acceptent notre musique, en général, elles l’apprécient.
Pouvez-vous revenir sur l’évolution de votre son
, vers quelque chose de plus dur, de plus sale…Thiago França : C’est une représentation du moment qu’on vit à São Paulo. Toutes les difficultés dans cette ville. Tout le chaos. Ce n’est pas une ville qui vous accueille. c’est une réponse à ça. C’est aussi peut-être pour nous séparer de… il y a des grosses étiquettes au Brésil, samba, mpb. Nous avons aussi la volonté de nous mettre à distance de ces sons plus carrés, plus traditionnels.
Pouvez vous revenir sur l’utilisation de l’improvisation très présente sur vos projets comme Marginals, Metá Metá ou Peru Malagueta e Bacanaço.
Thiago França: on improvise beaucoup. Par exemple, une chanson du second album (MetaL MetaL), Man Feriman chaque fois qu’on l’a joue, elle sort différente. On a des marqueurs dans la structure mais on n’est pas obligé de faire pareil à chaque fois. On est plus connectés chaque jour. On se sent plus libre chaque fois d’expérimenter. La musique arrive différente chaque fois. On a des chansons avec plus de liberté, com Man fFriman, aboke (Exu), ou Oba Ina… et d’autres avec des formes plus fixes comme São Jorge, Cobra Rasteira.
Dans l’édition de MetaL MetaL qui sort sur Mais Um Discos, il y a deux titres avec Tony Allen. Comment l’avez-vous rencontré et comment ça s’est passé de jouer avec lui ?
Thiago França : j’ai rencontré Tony ici à Paris en 2012, à un concert où j’accompagnais Criolo. Il est venu me voir après le concert et il m’a dit qu’il avait été impressionné et voulait jouer avec moi. Quelques mois mois plus tard, on a pris contact et il a voulu que je produise des morceaux pour un projet appelé Afrobeat Makers. Il enverrait des pistes de batterie et j’en ferais ce que je voudrais. J’ai produit les chansons et j’ai invité, lui, eux, enfin nous (Rires de Juçara Marçal) Metá Metá sur une des pistes. On a aussi fait un concert ensemble avec Tony.
Je pense que notre manière de comprendre la musique est la même. On a commencé les répétitions et Tony nous a dit dès le troisième morceau « je ne sais pas comment on fait ça…nous parlons le même langage, ça va marcher ».
Seuls deux morceaux sont sortis non ?
Thiago França: Oui, le troisième, je l’ai fait avec Tejo Damasceno. Il va sortir sur le prochain disque du groupe Instituto dans quelques mois, je crois.
Siba va jouer après vous lors du festival Banlieues Bleues. Vous avez repris quelques morceaux de lui sur vos albums (A Velha Da Capa Preta sur Encarnado, Vale do Juca)…pouvez-vous nous parler de lui?
Kiko Dinucci: Siba est un ami. Et c’est un compositeur qu’on a toujours admiré. Il joue de la musique populaire mais d’une manière contemporaine. Il est lié à la tradition, mais incorpore des choses à lui. Il a a aussi une expérience dans le rock comme moi. Et en plus de ça, c’est un bon créateur, il écrit très bien, compose très bien. Ca a toujours été une influence pour nous. C’est peut être un des artistes qui dialogue le plus avec ce qu’on fait, avec notre proposition, notre esthétique.
Siba joue désormais avec Rodrigo Caçapa… il disait dans une interview vouloir dépasser l’approche harmonique de la musique brésilienne qui domine depuis João Gilberto...
Kiko Dinucci: Caçapa a ouvert des portes pour penser une musique plus polyphonique. Avant la musique brésiienne était très basée sur des accords, comme dans la bossa nova.
Quand on a écouté Caçapa, on a vu qu’il mettait trois voix de guitares ensemble, quelque chose de très inspiré de Bach, qu’il a beaucoup étudié. On a beaucoup aimé cette manière de jouer en contrepoint, avec des mélodies superposées.
Personnellement il m’a beaucoup influencé dans la manière de penser la guitare, électrique et acoustique. On retrouve ça dans nos projets. Passo Torto utilise beaucoup ce langage, le disque de Juçara, Encarnado est aussi très polyphonique.
Juçara Marçal:Rodrigo Campos joue aussi de cette manière.
Kiko Dinucci: Enfin, c’est un autre artiste avec lequel on s’identifie beaucoup.
Kiko Dinucci, vous jouez aussi régulièrement en concert avec sa femme, Alessandra Leão Un disque est en préparation?
Kiko Dinucci: Oui, on va faire un disque avec Alessandra Leão et Caçapa. On va l’enregistrer dans quelques mois. Il y aura des compositions de nous trois. Seulement des partenariats entre nous trois. Je ne sais pas comment ça va être mais on va l’enregistrer.
Il y a une exposition près d’ici en ce moment, sur la « Great black music » à la Cité de la musique qui parle des connections entre les « musiques noires » entre Afrique et les Amériques: funk, jazz, cumbia… « Musique noire » ça vous parle comme terme?
Kiko : La musique noire s’est répandue dans plein de genre. Le rock au début était une musique noire aussi. Il vient du blues qui a été accéléré. On a un lien avec la musique noire…Avec ce swing, ce travail sur le rythme, cette envie de danser.
Juçara : Et le souci de la polyrythmie.
MarginalS a beaucoup influencé pour le son plus sale, plus noisy… MetaL MetaL a influencé Passo Torto.
: Oui la polyrythmie. Passo Torto n’a pas l’air pas mais est lié à la musique noire. Mais c’est différent de la musique sérielle, dodécaphonique. On utilise la polyphonie européenne mais il y a la syncope ; il y a le swing. Mais c’est pas planifié, c’est ce qui arrive quand on joue ensemble. Chaque projet influence les autres.Tout ça vient de la musique noire. Mais c’en est pas le point final. Il peut y avoir de l’influence de la musique juive (rires de Juçara Marçal). De tous les genres, black music ou non. ll y a l’influence de Bach. Tout peut nous influencer.
Vous connaissez, appréciez la musique française ?
Juçara Marçal : je connais la musique plus ancienne mais dans la musique actuelle, j’aime Camille, Stromae même s’il est belge. C’est très intéressant.
Kiko : J’aime camille aussi. J’ai fait un partenariat avec Dom La Nena, qui est franco-brésilienne. Et j’aime Charlotte Gainsbourg.
Juçara : mais c’est vieux (rires).
Kiko : Elle, elle est contemporaine, Serge lui c’est ancien.
Juçara, pouvez vous nous parler de votre dernier projet Encarnado.
Juçara Marçal: Encarnado, je l’ai fait avec Kiko et Rodrigo Campos. Nous avons pensé les arrangements ensemble, la voix avec la guitare électrique, cette sonorité était importante. Et puis moi, je suis complétement fan de Passo Torto. Je voulais faire référence à ces sonorités. C’est parti de ça.
Je suis partie d’un répertoire que j’aimais chanter mais qui faisait sens avec cette sonorité de guitare électrique. Et puis il y a Thomas Rohrer, qui jouait de cette sorte de violon brésilien, la rabeca.
On trouve une chanson de Tom Zé, Itamar Assampção.. deux références qui reviennent souvent.
Au début je pensais faire tout le disque à la manière de Tom Zé, puis j’ai changé d’idée. J’aime beaucoup sa façon de faire de la musique, de penser. C’est une référence pour moi.
Peru, Malegueta… est très différent des autres projets que nous avons évoqués, avec un son plus proche de la samba et du choro « traditionnels ».
Thiago França: L’album est basé sur un livre qui s’appelle Malagueta, Perus e Bacanaço d’un auteur de São Paulo un peu oublié aujourd’hui, João Antônio C’est l’histoire de trois joueurs de billards qui parcourent toute la ville à la recherche de parties pour parier. J’ai essayé de peindre São Paulo dans les années 60. Il s’agit d’un hommage pour les 50 ans de la sortie du livre. J’étais inspiré, de toute évidence par le livre, et par des disques de samba des années 70 comme ceux Paulo Moura, de Paulinho da Viola. On a essayé de capturer cette atmosphère.
Ça fait aussi partie des choses que nous faisons. Nous faisons Metá Metá, MarginalS, mais aussi des choses traditionnelles… nous aimons être en contact avec ces différents styles de musiques, ces différentes manière de créer et de narrer.
L’album suit la narration du livre ?
Thiago França: Plus ou moins. C’est plus ou moins chronologique par rapport au livre. J’ai pensé l’album un peu comme une bande originale. Certains morceaux sont des passages spécifiques. Il y a des chansons courtes (des « vignettes »), chacune montre la personnalité d‘un des trois personnages principaux.
Et puis il y a São Paulo de noite, qui n’est pas un passage du livre mais l’atmosphère générale du scénario. Et un morceau fait par Kiko avec le rappeur Ogi qui est un passage spécifique du livre. La chanson faite par Rodrigo (Campos) est aussi un passage spécial. Na multidão, faite par Kiko et Romulo Fróes, n’est pas un passage mais un sentiment général du livre.
Savez vous si le livre a été traduit ?
Thiago : je ne crois pas que ça ait été traduit. Il est assez rare. C’était connu quand il est sorti mais il a été complétement oublié pendant 20-30 ans…Et puis on a commencé à reparler de João Antonio à nouveau.
Juçara : on aura aussi le disque de Kiko Dinucci qui s’appelle Cortes Curtos. (rires)
Thiago : le légendaire disque ! (rires).
Juçara : Il n’est toujours pas encore enregistré mais il en parle depuis 2, 3 ans.
Kiko : Je devais le sortir il y a déjà trois ans… comme on a beaucoup de projets : les disques de Juçara Marçal, de Thiago, Metá Metá, Passo Torto…
Juçara : on le dérange (rires).