La musique latine n’existe pas. Il y a une muraille de Chine entre Lusophones et Hispanophones du continent américain. Un Brésilien lambda n’écoutera pas plus de salsa ou de cumbia qu’un Argentin de la samba ou du forró. Ceci dit… il y a bien des cas où les frontières deviennent poreuses. C’est le cas par exemple de la lambada perfusée aux rythmes caribéens et de la musique « gaucha » qui nous vient de la Pampa : ces immenses prairies qui incarnent l’Argentine dans l’imaginaire collectif couvrent également le Brésil et notamment le Rio Grande do Sul. Cette pampa charrie une histoire, une économie et une culture en partie partagée entre ces deux pays, mais aussi avec l’Uruguay et le Paraguay.

Pour vous présenter ce genre méconnu, j’hésitais entre deux artistes gauchos: Jayme Caetano Braun et Noel Guarany. Heureusement pour moi, ils ont publié un album commun qui m’évite ce dilemme. Une vingtaine d’années sépare les deux artistes. Jayme Caetano Braun est né en 1924, Noel Guarany en 1941. C’est pourtant Guarany qui enregistra le premier un disque, dès 1970 alors que Caetano Braun dut attendre 1976. Il n’avait pas chômé, publiant de nombreux poèmes, fondant l’Academia Nativista Estância da Poesia Crioula, tout en poursuivant une carrière de fonctionnaire. Les deux publieront une série d’albums centraux dans la transmission et la création de ce patrimoine gaucho, appelé parfois nativista ou missioneira (du nom des missões jesuíticas).

En les écoutant, je ne peux pas m’empêcher  de penser à Atahualpa Yupanqui, le formidable guitariste argentin (qui avait comme Noel Guarany pris un nom de scène amérindien, comme pour manifester la distance qui les sépare de la culture des capitales de leurs pays respectifs?). C’est la même vocation qui les anime : la guitare portée comme un talisman ; la voix intense, des textes puissants, qui roulent sur les rythmes de la pampa et au-delà (milonga, chamamé, chamarrita, payada…). Autant folkloristes que poètes, passeurs que créateurs. C’est Alan Lomax et Bob Dylan en un seul homme. Enfin deux. Bref, vous m’avez compris.