Saravah – Moi je l’aime et j’ai parcouru le monde

Il y a une certaine joie à voir des artistes qu’on adore connectés par-delà les océans. Le Français Mathieu Boogaerts par exemple a joué avec le père de l’afrobeat nigérian, Tony Allen. Tout comme les Brésiliens de Metá Metá. La chanteuse de ce groupe, Juçara Marçal a de son côté chanté Brigitte Fontaine. Et si on évoque la punk de la chanson française, son producteur Pierre Barouh n’est pas loin. Ces rencontres qui sont aussi des voyages, c’est je crois ce que préférait Pierre Barouh. Un film qui lui est dédié s’appelle d’ailleurs joliment « l’art des rencontres ».

Mais aujourd’hui je souhaite vous parler de son film Saravah, restauré il y a peu : un film culte pour les amateurs de musique brésilienne longtemps resté inaccessible. Son casting à lui seul suffirait à le rendre important: Paulinho da Viola, Baden Powell, Maria Bethania filmés en 1969 à l’époque où ils sont au sommet de leur talent mais pas encore momifiés comme légendes vivantes. Le film donne également à voir et à écouter deux grands musiciens pour le coup déjà légendaires, Pixinguinha et João da Baiana.

Le plus simple serait de décrire Saravah comme un film sur la musique brésilienne, sur ce moment de la musique carioca particulièrement fécond entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, le passage de la bossa nova à la jeune MPB incarnée par Maria Bethania et Baden Powell mais également celui du réveil de la samba porté par Paulinho da Viola. On pourrait aussi  le décrire comme un de ces petits trésors de la nouvelle vague, bricolés avec trois francs six sous, en trois jours, mais pétris de talents et de spontanéité. Celui qui a commencé par une carrière d’acteur chez Lelouch et fut l’époux d’Anouk Aimée ne le contredirait pas.

Mais si le film tient les années, si c’est un beau film est pas seulement un enregistrement historique, c’est qu’il y a un artiste derrière qui lui donne une âme. Et c’est artiste c’est Pierre Barouh lui-même. Pierre  Barouh, voyageur-poète qui a laissé un bout de lui au Brésil, comme  Roger Bastide, Levi-Strauss, et Pierre Verger avant lui, comme Vincent Moon et Jean-Paul Delfino  après. Pierre Barouh donne le « la » dès les premières secondes du film. Il dit vouloir nous parler de la musique brésilienne comme un amoureux parlerait d’une femme qu’il aime. « Parce que c’était lui » écrivit Montaigne à propos de la Boétie. Et il ajouta plus tard, « Parce que c’était moi ». Car une histoire d’amour c’est la rencontre entre deux personnes.

Le film est donc autant sur la musique brésilienne, et le réalisateur ne manque pas de raconter ses racines et ses fleurs,  que sur Pierre Barouh lui même. Il a alors 35 ans, et au moins 10 ans d’amour pour cette musique, qui remonte à sa rencontre avec Sivuca et un premier voyage au Brésil en 1959 au moment même de l’éclosion de la bossa nova. Il a côtoyé intimement cette musique, devenant notamment proche de Baden Powell qui vécut un temps en France. Dans Saravah, Barouh n’est pas simple observateur, il est devant la caméra aux côtés des musiciens, partage avec eux un éclat de rire ou une bière ; le voilà à pousser la chansonnette avec eux.  A travers lui c’est le spectateur qui se retrouve à table avec eux à partager ces moments d’intimité.

« J’en connais que la chanson incommodeD’autres pour qui ce n’est rien qu’une modeD’autres qui en profitent sans l’aimerMoi je l’aime et j’ai parcouru le mondeEn cherchant ses racines vagabondesAujourd’hui pour trouver les plus profondesC’est la samba chanson qu’il faut chanter »

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