Le Pernambuco occupe une place à part dans le paysage musical brésilien. Malgré sa petite taille et son isolement géographique en plein Nordeste, c’est un des foyers musicaux les plus dynamiques du pays. Il est aujourd’hui reconnu comme tel grâce au mangue-bit, une relecture contemporaine et cosmopolite de la musique régionale par les jeunes urbains qui a connu un succès national dans les années 90. Les « mangue-boys » avaient à leur disposition un terreau de rythmes et de fêtes sans équivalent au Brésil. frevo, forró pour les plus connus mais aussi : coco de roda, frevo, embolada, ciranda, repente, caboclinho, maracatu rural, maracatu de baque virado, maracatu de baque solto, cavalo marinho… autant de styles qui furent appris auprès de maîtres, dont le plus fameux d’entre eux, est Mestre Salustiano, le « père spirituel du mangue-bit ».
Né en 1945, Manuel Salustiano Soares grandit à Aliança dans la Zona da Mata, sur le littoral du Pernambuco, où il travaillait dans les plantations de cannes à sucre. Il déménagea plus tard à Olinda, ville voisine de Recife, où il officiait comme vendeur de glaces ambulant et chauffeur de camion. Bien qu’analphabète, c’était un homme de grande culture. Sa première passion fut le cavalo-marinho, auquel il fut initié par son père João Salustiano. Cette importante fête célèbre l’arrivée des rois mages. A l’image du bumba meu boi, ou de la nau Catarineta, il s’agit de véritables opéras populaires, qui mêlent narration, théâtre, costumes, danse, et musique, au sein de spectacles qui comportent jusqu’à 70 personnages et durent plus de huit d’heures ! Mestre Salustiano est considéré comme un des maîtres de cavalo marinho, comme musicien mais également comme costumier et danseur.
Le talent de Salustiano déborde le cavalo marinho: c’est un joueur réputé de rabeca (cousin du violon emblématique des musiques du Nordeste), une référence en ciranda (qu’il apprend après de Antônio Baracho, le plus grand maître du genre) et un maître de maracatu : il dirige le Maracatu de Baque Solto Piaba de Ouro, une institution sacrée sept fois champions consécutifs du carnaval du Pernambuco. Bref, Salustiano est une encyclopédie vivante de la culture populaire, en témoigne le titre de docteur honoris causa qu’il reçoit de l’Université fédérale du Pernambuco en 1988. Il assuma ce statut, et joua en quelque sorte le rôle d’intermédiaire entre les artistes et les pouvoirs publics. C’est par exemple lui qui créa l’association de maracatu de baque solto, qui fédère aujourd’hui près d’une centaines de groupes. Surtout, il transmit sa connaissance notamment auprès des jeunes des classes moyennes qui formeront plus tard les troupes du mangue-bit.
A cette époque, malgré sa renommée locale et son âge avancé, Mestre Salustiano n’avait toujours pas foulé les studios. C’est qu’au Pernambuco, la production discographique pourtant vivace restait focalisée sur les styles à plus fort potentiel commercial (frevo, forró). Situés à la périphérie d’un État lui-même périphérique, les musiciens, amateurs, issus des milieux les plus modestes, n’avaient accès ni aux studios, ni aux médias. Mais à la fin des années 90, le mangue-bit change la donne et lui permet de sortir son premier album en 1998, Sonho da Rabeca.
L’album est un manifeste du talent de Salustiano et de la richesse de la musique du Pernambuco. Il prend le parti de picorer dans chaque style : cirandas, coco, maracatu de baque solto, maracatu rabecado et bien sûr toadas de cavalo marinho. Le son est assez brut, proche des fêtes de rue, bien loin des arrangements « modernes » ou « érudits » de ces styles qui avaient pu être enregistrés par Jackson do Pandeiro, Quinteto Violado, Quinteto Armorial ou Nação Zumbi. Si le disque adopte une démarche traditionnelle, elle n’est en rien passéiste. Elle présente plutôt la vision personnelle de Salustiano. Les morceaux sont d’ailleurs presque tous ses compositions.
Il enregistrera encore trois autres albums, peu distribués et aujourd’hui très difficiles à trouver. D’autres maîtres de sa génération suivront ses pas, Biu Roque, Zé de Teté, Antônio Caju, João Limeiro, Caetano da Ingazeira, Barachinha… mettant à jour des trésors de poésie et de musique restés injustement dans l’ombre. Ils auront en commun d’être parrainés parle la jeune garde issue du mangue-bit (Siba, Alessandra Leão): un renvoi d’ascenseur mérité des élèves à leurs maîtres.
Mestre Salustiano – Sonho da Rabeca, 1998 (télécharger)
En bonus, une vidéo de maracatu de 1990 avec Mestre Juriti donnant un aperçu du maracatu.