Réécouter ses disques de chevet est source de nombreuses déceptions. Parfois ce n’est pas la faute de l’album. On pourrait leur dire sans trop d’hypocrisie, « ce n’est pas toi, c’est moi qui ai changé« . On est passé à autre chose, on a affiné notre goût et sommes devenus plus difficiles. Ce qu’il nous apportait, on l’a trouvé ailleurs et en mieux. Le talent et l’originalité qui nous avaient séduit n’existaient que grâce à notre ignorance de ses emprunts désormais trop évidents. Mais heureusement, la réécoute apporte parfois un plaisir renouvelé. C’est l’indice qu’on avait croisé un grand disque, de ceux qui savent traverser sans encombre le temps et notre existence. C’est le cas de Quatro Grandes do Samba.
Le titre de cet album paru en 1977 annonce la couleur : « Les Quatre Grands de la samba », une expression on ne peut plus juste qui désigne Nelson Cavaquinho, Candeia, Elton Medeiros et Guilherme de Brito. Nelson Cavaquinho, né en 1911 est le plus vieux des quatre. Figure mythique de l’école de Mangueira, malandro radical, sa voix rocailleuse, sa guitare et surtout ses compositions tragiques font de lui un des plusieurs singuliers sambistas.
Guilherme de Brito est son plus fidèle partenaire de composition dans lequel il est souvent resté dans l’ombre. Poète délicat. il est avec Nelson Cavaquinho, l’auteur de classiques absolus de la samba comme Folhas secas, O bem e o mal, ou encore A flor e o espinho, et Quando eu me chamar saudade, toutes deux interprétées par lui-même sur le disque.
Elton Medeiros, leur cadet est pourtant celui qui a à l’époque la plus longue discographie. Avec Ze Keti, Jair do Cavaquinho, Nelson Sargento et Paulinho da Viola, il a participé à plusieurs groupes fondateurs du revival de la samba des années 1960 (A Voz do Morro, Rosa de Ouro, Os Cinco Crioulos). Il est l’auteur de deux superbes albums sous son nom, dont un en partenariat avec son jeune ami Paulinho da Viola. Il partage avec ce dernier le goût pour une samba teintée d’expérimentation, comme en témoignent ses partenariats tant avec Cartola qu’avec Tom Zé.
Candeia enfin, le plus jeune des quatre, incarne paradoxalement la figure du gardien du temple. Compositeur intimiste mais doté d’un tempérament de leader, il a donné une nouvelle dynamique à la samba en la rapprochant de ses racines noires et communautaire. Le portrait ne serait pas complet sans évoquer la cinquième interprète du disque, Dona Ivone Lara qui chante sur Sou Mais o Samba. A l’époque encore inconnue du grand public malgré la cinquantaine bien entamée, elle allait peu après s’affirmer comme une immense compositrice-interprète de samba dans un milieu pourtant rétif aux compositrices.
J’ai découvert Quatro Grandes do Samba à une époque où cette musique ne m’était pas encore familière. Ce que j’y aimais ce n’était pas les chansons de ces grands compositeurs mais la samba qu’à travers elles je découvrais. Au contraire, aujourd’hui, ce qui me touche dans le disque, c’est qu’il est bien plus que de la samba générique et appliquée. C’est le partido alto enlevé qu’est Não Vem, le romantisme d’Expressao do teu olhar, la noirceur d’A Vida, la touchante résignation de Noticia. C’est la gravité de Candeia, la tendresse d’Elton le spleen de Nelson, la pudeur de Guilherme. C’est indubitablement de la samba : les arpèges de la guitare à sept cordes, la rythmique du cavaquinho, le contrepoint de la flûte, la pulsation du pandeiro nous le rappelle à chaque instant. Et pourtant, jamais on n’a l’impression que les musiciens appliquent les règles de la samba. Ce sont des maîtres. Ils ne suivent pas de règles, ils les créent ; ils ne font pas de la samba : ils font la samba. Ce sont quatre grands de la samba.
Guilherme de Brito, Nelson Cavaquinho, Candeia, Elton Medeiros – Quatro Grandes do Samba (1977, RCA). Acheter sur Itunes. Ecouter sur spotify.