L’objectif de Bonjour Samba est de présenter la musique brésilienne dans toute sa diversité, en abordant sinon tous, du moins la plupart des styles et des époques. Et pourtant, on revient inlassablement et sans grande originalité à la samba de Rio de Janeiro, et en particulier à ses innombrables chefs d’œuvre produits dans les années 1970.
Ils ont ce je-ne-sais quoi, qui les distinguent à la fois des albums antérieurs et de ceux qui suivirent. C’est une époque où la samba, désormais respectée, fait l’objet d’enregistrement plus soignés et plus respectueux de son identité. C’est aussi une époque où se croisent les générations avec d’un côté, les jeunes musiciens apparus à la fin des années 1960 qui atteignent leur maturité artistique, et de l’autre, des musiciens bien plus âgés mais qui avaient été snobés par l’industrie de la musique durant leur prime jeunesse. Dona Ivone Lara appartient à la seconde catégorie.
Ivone Lara a un destin hors du commun qui ne détonnerait pas dans un scénario hollywoodien. Elle naît en 1921 à Rio de Janeiro avec un triple handicap : Noire, pauvre et femme. Son père, réparateur de vélo, meurt avant qu’elle n’ait le temps de le connaître ; sa mère, employée domestique le suit dans la tombe alors qu’Ivone n’a que 6 ans. La patronne de sa mère prend cependant l’orpheline en pitié et l’inscrit dans un internat où elle devait rester jusqu’à ses 18 ans. Mais à la demande de son oncle, elle le quitte à ses 16 ans pour commencer à travailler dans une usine. Elle décide cependant de passer un concours pour intégrer une école d’infirmière qu’elle réussit si brillamment qu’elle décroche une bourse. Grâce à elle, elle peut poursuivre ses études, jusqu’à devenir une des premières femmes noires du Brésil diplômée de l’enseignement supérieur. Elle travaille comme assistante sociale, poste qu’elle occupe pendant 37 ans, en exerçant notamment en hôpital psychiatrique aux côtés de le grande psychiatre Nise da Silveira.
Pourtant, ce n’est pas ce parcours professionnel remarquable qui nous intéresse mais son talent musical. Ses parents qu’elle n’a guère eu le temps de connaître étaient très investis dans la musique, son père notamment jouait au sein du Bloco dos Africanos. Son oncle est également un musicien accompli qui joue du choro avec Donga et Pixinguinha. C’est lui qui lui fait son éducation musicale et lui enseigne le cavaquinho.
A partir de 1945, Ivone Lara déménage dans le quartier de Madureira et se rapproche de l’école de samba Prazer da Serrinha. Elle y rencontre les fameux sambistas Aniceto, Mano Décio da Viola et Silas de Oliveira, qui deviendront ses partenaires de composition. Certaines de ses sambas sont jouées à Prazer da Serrinha, qui défile même au son d’une de ses compositions lors du carnaval de 1947. Mais à l’époque, il était impensable qu’une école accepte des sambas jouées par une femme, alors elles étaient présentées comme étant l’œuvre de son cousin. En 1948, elle et ses amis sambistas font dissidence de Prazer da Serrinha et forment l’école aujourd’hui légendaire d’Império Serrano. Ivone Lara s’impose peu à peu dans ce milieu d’hommes très macho et devient en 1965 la première femme membre de l' »aile des compositeurs » d’une école de samba !
En 1974, elle enregistre deux morceaux, dont le superbe Tiê sur le disque collectif Quem samba fica ?, aux côtés de Casquinha, Wilson Moreira et Sidney da Conceição puis chante en 1977 avec Candeia sur Quatro Grandes do Samba. Ce n’est qu’en 1978, à 57 ans, qu’elle devient « professionnelle » de la musique, juste avant de prendre sa retraite de son travail d’assistance sociale. La même année, deux immenses stars de la MPB Maria Bethânia et Gal Costa interprètent son Sonho Meu qui deviendra un hit phénoménal. C’est surtout l’année où elle publie enfin son premier album Samba minha verdade, samba minha raiz.
La plupart des morceaux du disque sont composés par Ivone Lara avec Délcio Carvalho, musicien de près de 20 ans son cadet. De manière prévisible, on retrouve des hommages aux écoles de samba de son coeur, Imperio Serrano et Prazer da Serrinha (O Império Tocou, Reunir, Prazer Da Serrinha). Elle chante également l’école de Portela, sur le magnifique Chegou Quem Faltava, en duo avec Alcides Lopes, grand sambista dont c’est l’unique enregistrement avec Quando A Maré sur le même disque.
Mais l’essentiel de Samba minha verdade, samba minha raiz est ailleurs. Il est comme son nom l’indique dans ces chants d’amour à la samba comme racine et comme vérité (Em Cada Canto Uma Esperança, Samba, Minha Raiz). La douleur, la tristesse, les difficultés, sont présentes, mais la joie, l’amour, le pardon, l’espoir, et bien sûr la samba qui est tout ça à la fois, permettent d’y faire face, non pas en les effaçant d’un coup de baguette magique mais en vivant malgré ou plutôt avec elles, sans illusion ni désespoir mensongers.
« Il est facile de percevoir en moi, la tristesse qui peu à peu s’étend. Je m’achève, comme la fin d’un jour qui apporte la nuit de tout agonie. Tu as fait ce que tu as voulu de moi. Tu as, à la fin, détruis mon illusion. Moi qui chantais l’amour, dans tes bras, je sentais la joie et le plaisir. Aujourd’hui je n’ai appris qu’à souffrir. Le temps passe et augmente dans l’âme le tourment et la douleur du manque et des regrets. Je n’ai aujourd’hui plus que ma samba qui est libre et me couvre de tranquillité. Elle me dit que le monde tourne et que ma souffrance finira un jour. Je le verrai un jour implorant, ce qu’un jour je voulus lui offrir » (Apprendi a sofrer)
Dona Ivone Lara – Samba minha verdade, samba minha raiz (Odeon, 1978).