A Voz do Morro – Allumer le feu

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Quand ce auquel on tient le plus s’apprête à disparaître, quand le chacun pour soi ne suffit plus pour faire face, il est temps de s’allier avec ces adversaires d’hier pour un ultime combat. Ce scénario n’est pas celui d’un quelconque blockbuster, mais raconte la formation du supergroupe A Voz do Morro en 1965 par Elton Medeiros, Ze Keti, Anescar do Salgueiro, Jair do Cavaquinho, Zé Cruz et Oscar Bigode.

Dans la force de l’âge, mais n’ayant rien perdu de leur superbe, ces quadragénaires reprennent leur instruments comme des héros reprennent du service, aidés par un petit jeunot, Paulinho da Viola. Tous attachés à des écoles de samba concurrentes (Salgueiro, Portela, Mangueira, Samba Unidos), ils mettent de côté les rivalités et jouent ensemble pour que vive la samba.

Flashback

A l’orée des années 1960, la samba, ringardisée par le baião et la bossa nova, est un foyer éteint, sous lequel couvent néanmoins quelques braises. Les charbons ardents, ce sont les vieux sambistas des morros, ces collines construites de favelas dominant la baie de Rio de Janeiro. Le foyer de ce feu, c’est le Zicartola, le nouveau club ouvert par Cartola et sa femme, où se croisent vieux sambistas et jeunes musiciens de bossa nova. Le souffle sur les braises, c’est le coup d’État qui frappe le Brésil en 1964, un cruel rappel de la réalité pour les aficionados de l’apolitique bossa nova qui apparait plus que jamais déconnectée du pays. Le tison, ce sont Carlos Lyra, Nara Leão, Hermínio Bello de Carvalho, ces musiciens et producteurs qui s’intéressent à cette vieille samba et organisent des spectacles qui s’en nourrissent (Opinião avec Nara Leão, Rosa de Ouro avec Clementina de Jesus). Les premières flammes, c’est la musique du conjunto A Voz do Morro.

Clementina de Jesus avec  Paulinho da Viola, Jair do Cavaquinho et Anescar do Salgueiro – 1965.

Clementina de Jesus avec Paulinho da Viola, Jair do Cavaquinho et Anescar do Salgueiro – 1965.

A Voz do Morro comprend des musiciens réunis au départ par Ze Keti pour le fameux spectacle Rosa de Ouro. Le nom du groupe, « la voix des favelas », endosse sans équivoque le rôle d’ambassadeur de cette samba « authentique », restée à l’écart des studios*. Le titre de leur premier album, Roda de samba, fait d’ailleurs référence à ces rencontres informelles et intimes de sambistas, loin des carcans et du formatage des sambas orchestrées pour la radio ou composées pour le carnaval. Ce retour aux rodas de samba sera plus tard approfondi par Candeia qui leur consacrera un bel album éponyme. Bien qu’il s’agisse d’un album studio, on retrouve l’essence de ces rodas avec ces refrains repris en chœur, une formation réduite à l’essentiel (guitare, cavaquinho, percussions discrètes) et des arrangements sans artifices tout au service des chansons

La principale originalité d’A Voz do Morro est qu’il ne s’agit pas d’un groupe classique de musiciens qui accompagnent un chanteur. Il s’agit, comme la Velha Guarda da Portela ou Passo Torto aujourd’hui, de musiciens qui se partagent à égalité les rôles de compositeur, instrumentiste et interprète.

Cela se retrouve dans la qualité exceptionnelle des morceaux, car tous, compositeurs d’exception, offrent au groupe leurs meilleurs œuvres: Jair do Cavaquinho donne Sonho Triste, Anescar do Salgueiro est derrière les magnifiques Intriga et Vai saudade. Elton Meideiros présente trois titres dont Injúria composé avec nul autre que Cartola. Le cadet du groupe, Paulinho da Viola, nous gâte avec Coração vulgar et Jurar com lágrimas, qui annoncent sa grande carrière future.

Quant à Ze Keti, le fondateur du groupe, il place de nombreuses compositions, mais n’est pas crédité comme musicien sur l’album : un contrat d’exclusivité signé avec Philips lui interdisait d’enregistrer avec un label concurrent…. Qu’à cela ne tienne, ce premier album sera suivi par d’autres, où Ze Keti sera bel et bien présent, rejoint par un autre grand sambista, Nelson Sargento. Tous ces artistes enregistreront plus tard de nombreux albums, avec le Voz do Morro, au sein des Cinco Crioulos ou en solo, mais c’est bien A Voz do Morro qui reste la première flamme de cette samba qui telle le phénix est renée de ses cendres.

A Voz do Morro – Roda de Samba (Musidisc, 1965).

*Le nom du groupe fait aussi référence à une émission de radio animée dans les années 40 par Cartola et Paulo da Portela, ainsi qu’à un morceau de Ze Keti.

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