Avec Jimi Hendrix, Robert Johnson, ou Jim Morrison, les États-Unis ont eu leur lot de grands musiciens disparus très jeunes. Mais aucun n’a été aussi prolifique que le Brésilien Noel Rosa, compositeur de 259 morceaux avant son décès, à seulement 26 ans.
Noel Rosa naît en 1910 à Rio de Janeiro dans le quartier de Vila Isabel. L’accouchement se passe mal. Le médecin doit extraire le nouveau né au forceps et l’opération le laisse défiguré. Un premier drame qui préfigure sa santé fragile.
Issu de la classe moyenne et étudiant en médecine, Noel Rosa préfère l’ivresse et les passions au confort et à la respectabilité bourgeoises. Il troque donc sans regrets les bancs de la faculté et les salons chics pour les bars et les cabarets. C’est là que parmi ses très nombreuses liaisons, il tombe amoureux de la danseuse Ceci, le grand amour de sa vie. Il se marie avec Lindaura, âgée de seulement 13 ans (!), après que sa mère ait portée plainte pour rapt. Ce mariage contraint ne met cependant nullement fin à sa vie dissolue et il continue à brûler la chandelle par les deux bouts, malgré la tuberculose qui l’emporte finalement en 1937.
Au delà de cette vie mouvementée qui inspirera d’ailleurs un film, si on se souvient de Noel Rosa plus de 100 après sa naissance, c’est qu’il était très bon musicien, un compositeur hors pair et un parolier de génie. Sa carrière musicale commence en 1929 quand il est invité à rejoindre le Bando de Tangarás, un groupe de musiciens du quartier de Vila Isabel. A 19 ans seulement, il enregistre avec eux ses premières compositions (l’embolada Minha viola et la toada Festa no céu). Il rencontre son premier succès l’année suivante avec la samba Com Que Roupa, qui devient un classique du carnaval de Rio. Ses compositions novatrices sont rapidement chantées par les stars de l’époque telles que Mário Reis, Marília Batista, Almirante, ou Francisco Alves.
Extrêmement prolifique, il compose avec les plus grands dont Donga, Lamartine Babo, Ary Barroso, Orestes Barbosa. En 1932, il rencontre le pianiste Vadico qui devient son meilleur et plus durable partenaire, avec lequel il compose une dizaine de classiques dont Feitio de oração, Pra que Mentir, et Conversa de Botequim. Sans préjugé social ni racial, il fréquente également les musiciens noirs des morros, ces collines de favelas qui entourent Rio où se développent les écoles de samba. Il nourrit sa musique de leurs sambas et compose avec les plus grands d’entre eux: Heitor dos Prazeres, Bide, Canuto, Antenor Gargalhada, et surtout Ismael Silva et son grand ami Cartola.
Noel Rosa fait ainsi office de trait d’union fondamental entre la samba urbaine et la samba des morros. Surtout, ses paroles introduisent la familiarité, l’ironie et l’humour dans une forme poétique aboutie. Contre les ballades niaises et romantiques, il parle de la vie de tous les jours, de la faim, des problèmes d’argent. Même quand il parle d’amour, c’est toujours de manière réaliste, sans chichi, à hauteur d’homme. Ce ton unique fait de lui le plus moderne des compositeurs de l’âge d’or de la samba.
Après sa mort, sa musique tombe dans un relatif oubli. Sauf pour son amie Aracy de Almeida qui l’avait déjà chanté de son vivant. A partir de 1950 elle réenregistre nombre de ses chefs-d’œuvre dont Palpite infeliz, Último desejo et Tres Apitos. Porté par les nouvelles techniques d’enregistrement hi-fi, de riches arrangements de cordes et son chant mélodramatique, le succès est immédiat. Il ne s’est plus démenti depuis. L’oeuvre de Noel Rosa dont de nombreux inédits sont redécouverts et s’emparent des radios. Entre 1950 et 1987, on recense pas moins de 1150 enregistrements de ses chansons ! Chico Buarque, Maria Bethânia, Tom Jobim, João Gilberto, Paulinho da Viola, Nelson Gonçalves, Clara Nunes, Ney Matogrosso, Jards Macalé, Gal Costa, Beth Carvalho, Moraes Moreira, Gilberto Gil, Caetano Veloso, Adoniran Barbosa… tant de grands musiciens brésiliens l’ont chantés qu’il serait plus rapide de citer ceux qui ne l’ont pas fait.
Mais justement, Noel Rosa, certes plus grand auteur-compositeur qu’interprète, a été trop écouté par la voix des autres. Or, ces derniers, peut-être trop conscients de la grandeur des chansons en ont données trop souvent des interprétations graves, et affectées. Noel Rosa lui, les chantaient avec gouaille, légèreté, simplicité. Et force est de constater que ses enregistrements,à la différence de nombre d’interprétations postérieurs, n’ont pas pris une ride.
Ces morceaux sont disponibles sur les compilations Noel pela primeira vez qui rassemblent tous les premiers enregistrements des années 1930. Pour découvrir le reste du répertoire de Noel Rosa, je vous invite à écouter les enregistrements des années 1950 d’Aracy de Almeida (deezer, spotify) ainsi que le bel album de 1966 de Maria Bethânia qu’elle lui a consacré.
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