Quand on me parlait d’albums solos d’un batteur ou d’un percussionniste, mon premier réflexe était de fuir en courant, effrayé par la perspective de subir une séance d’onanisme instrumental masquant la faiblesse des compositions. La découverte du premier disque d’Osvaldinho da Cuica, Vamos Sambar m’a fait ravaler mes préjugés.
Quand il sort cet album en 1974, Osvaldinho da Cuíca n’a que 34 ans. Pourtant il a déjà joué avec le gratin de la samba et de la MPB de Rio et de São Paulo : Martinho da Vila, Beth Carvalho, Adoniran Barbosa, Elizeth Cardoso, Cartola, Vinicius de Moraes, Gal Costa, Nelson Gonçalves, Geraldo Filme, Ivone Lara, Toquinho… La liste est impressionnante !
C’est qu’Osvaldinho da Cuíca a commencé la musique dès sa prime enfance. Il raconte que tout petit, il écoutait sa grand-mère jouer des rythmes de batuque et de cateretê à l’aide de deux cuillères. Adolescent, il travaille comme cireur de chaussures devant des salles de bals de « gafieira » dans le quartier Tucuruvi, au Nord de São Paulo et imite les musiciens en tapant sur sa boite de cirage. Il rencontre les sambistes de São Paulo et les suit bientôt dans leurs virées musicales qui se vante-il, ne s’arrêtaient que quand la police venait les déloger et leur faire terminer la nuit au poste. Osvaldinho devient peu à peu un percussionniste très demandé et intègre même le groupe vétéran de la samba paulista, les Demônios da Garoa.
Son instrument de prédilection est la cuíca. Un instrument dont il tire son surnom et qui fait partie des indispensables de toute batterie de samba. D’apparence un tambour classique, la cuíca est jouée non en frappant sur la peau mais en frottant une tige fixée au milieu de la peau, qu’on actionne en glissant sa main à l’intérieur de l’instrument. C’est ce qui donne ce timbre si particulier à la cuíca, (qui ressemble parfois à un cri d’animal!), à mi-chemin entre percussion et instrument mélodique comme peuvent l’être le berimbau brésilien ou dans un tout autre registre, la tabla indienne.
Si sur Vamos Sambar, la cuíca se taille la part du lion, Osvaldinho joue aussi de l’agogô (cloches qu’on frappe avec une baguette), du pandeiro (tambourin) et de la frigideira (une poêle musicale). Mis à part le jouissif cozinha, festival de percussions qui se termine sur un rythme de valse où la cuíca joue la mélodie, Osvaldinho s’appuie au contraire sur des solides compositions.
Au programme, des compositeurs carioca: Baianinho pour une samba-enredo choisie en 1974 pour le défilé de l’école de samba Em Cima da Hora (Festa Dos Deuses Afro-Brasileiros), Xango da mangueira avec son succès déjà interprété par Clementina de Jesus (Moro na roça) et enfin Raul Marques (Risoleta). Les compositeurs de sa São Paulo natale sont aussi bien représentés, plutôt issus des scènes samba-rock ou samba-jazz comme Luis Lopes, Bebeto et Benito di Paula.
Osvaldinho da Cuíca lui-même signe deux titres en collaboration avec le pauliste d’adoption Papete. Partido Na Cozinha où il chante les percussions surdo, pandeiro, cuica et reco-reco et Vai vai où il rend hommage au Corinthians, le grand club de foot de São Paulo.Papete prend d’ailleurs le microphone sur Vendaval, un délicieux samba-rock composé par Bebeto que Jorge Ben lui-même n’aurait pas renié !
Ce superbe éventail de compositions atteste de l’impressionnante qualité qui prévaut dans la samba à l’époque, même quand on pioche parmi des compositeurs qui sont loin de faire partie du panthéon du genre. Cet incroyable vivier de talents se retrouve aussi dans les musiciens qui forment le Grupo Vai Vai qui accompagne Osvaldinho. Il ne s’agit pourtant que d’un groupe assez anonyme, qui n’a à notre connaissance rien enregistré d’autre que cet album, qui n’a d’ailleurs même pas été réédité en CD. La seule information sur le groupe provient de son nom même, Vai Vai, qui indique qu’il est sans doute composé de membres de l’école de samba de São Paulo du même nom, qu’avait rejoint peu avant Osvaldinho.
Anonyme ou pas, le groupe fait des étincelles tout du long, et la cuíca d’Osvaldinho participe à la fête avec une joie et un enthousiasme contagieux. Un sens du partage et du collectif qui donne cette tonalité irrésistible au disque qui en fait un des plus réjouissant témoignages du génie collectif de la samba. Alors, vamos Sambar!
Osvaldinho da Cuíca e Grupo Vai Vai – Vamos Sambar. Discos Marcus Pereira. 1975.