En 1959, Canhoto da Paraíba et d’autres musiciens nordestins traversent tout le Brésil en jeep jusqu’ à Rio de Janeiro. Ils sont accueillis dans la maison du grand musicien
Jacob do Bandolim, chez qui sont présents la fine fleur du choro:
Pixinguinha, Tia Amélia, Dilermando Reis et même
Paulinho da Viola encore tout jeune. Selon la légende, Radamés Gnattali s’enthousiasme tellement quand il entend jouer Canhoto da Paraíba, qu’il crie un juron et lance son verre de bière jusqu’au plafond. On raconte que Jacob do Bandolim a laissé la tache en guise de souvenir. Je ne sais pas si l’écoute de la guitare de Canhoto da Paraíba vous fera le même effet qu’à Radamés Gnattali mais tout amateur de choro et de musique brésilienne en général ne peut être que charmé par la finesse de ses mélodies et la pureté de son toucher.
Canhoto da Paraíba est un surnom. « Paraíba » fait référence à l’Etat du Brésil où Francisco Soares de Araújo de son vrai nom, naît en 1926, à Princesa Isabel. Enfant, il est sacristain dans la paroisse de la ville et joue de la cloche de l’église, avec laquelle dit-on, il aurait réussi à jouer le frevo Vassourinha ! Quand à « Canhoto », le mot signifie « gaucher » en portugais. Canhoto da Paraíba est pourtant droitier, mais quand qu’il apprend la guitare, il insiste curieusement pour la jouer comme un gaucher. Comme il partage la guitare avec ses frères, il laisse les cordes montées comme sur une guitare de droitier et joue donc de manière inversée, les cordes graves en bas et les aiguës en haut.
Attention, Canhoto da Paraíba ne doit pas être confondu avec deux célèbres homonyme également surnommés « canhoto », le guitariste Américo Jacomino et Waldiro Frederico Tramontano, joueur de cavaquinho qui a dirigé le célèbre Regional do Canhoto.
Le père de Canhoto da Paraíba est lui-même musicien et tout jeune, il fréquente déjà les musiciens locaux amis de son père. Passionné dès son jeune âge, il est appelé pour jouer dans des bars et des fêtes locales. Son père lui offre d’ailleurs sa propre guitare après que celle avec laquelle il jouait est cassée sur la tête d’un client par le patron d’un bar où il jouait…Jeune homme, il s’installe à João Pessoa dans le Paraíba, où il est recruté comme musicien à la Rádio Tabajara. En 1958, il déménage à Recife dans le Pernamubuco voisin où il passe le reste de sa vie. N’arrivant pas à vivre seulement de la musique, il travaille durant 23 ans comme assistant social pour le SESI (Serviço Social da Indústria).
Ses premières influences musicales sont les grands noms du choro carioca, Pixinguinha, Jacob do bandolim, Luiz Americano et Luperce Miranda. Ses compositions ont un accent nordestin et on y retrouve l’influence de l’immense richesse musicale locale : baião, xote, xem-nhem-nhem, frevo, xaxado et cateretê. Au fil des années, Canhoto da Paraíba devient un musicien très respecté. Il est adulé par Paulinho da Viola qui l’invite à jouer avec lui, notamment dans une série de concerts en hommage à Pixinguinha. Il est tenu en grande estime par Jacob do Bandolim lui-même qui interprète certaines de ses compositions avec son groupe Época de Ouro.
Mais sans doute pour ne pas avoir déménagé à Rio de Janeiro, là où battaient les cœurs du choro et de l’industrie phonographique, sa production discographique est assez famélique. Il n’enregistre durant sa longue carrière que trois albums. Le premier, Único Amor, sort en 1968 sur Rozenblit, un label du Pernambuco aujourd’hui disparu. Canhoto da Paraíba y est accompagné seulement par le guitariste Henrique Annes. Une merveille de simplicité et de beauté, où ils interprètent essentiellement des choros. On trouve également quelques valses, un boléro et un style dont je n’avais jamais entendu parler mais qui sonne nordestin, le xem-en-en, avec le titre Pisandro em brasa (marchant sur les braises). Tous les morceaux sont composés par Canhoto lui-même, à l’exception de trois compositions, Escadaria de Pedro Raymundo, le bolero Zingara de Joubert de Carvalho et enfin un des sommets de l’album et qui lui donne son titre, la valse Único Amor d’Alfredo Medeiros.
Canhoto da Paraíba enregistre près de 10 ans plus tard son second et autre grand album, O Violão Brasileiro Tocado Pelo Avesso (1977), produit par nul autre que Paulinho da Viola. L’album sort sur l’incontournable label Discos Marcus Pereira, alors le fer de lance du renouveau du choro. Un autre superbe disque où Canhoto interprète ses propres compositions, cette fois-ci accompagné d’un groupe de choro complet, avec cavaquinho et pandeiro. Un ultime album suivra en 1993, Pisando em Brasa, avec les participations de Rafael Rabello et Paulinho da Viola. Un AVC le diminue gravement en 1998 et il arrête définitivement la musique, avant de décéder en 2008, peu après avoir été gratifié du titre de « patrimoine vivant du Pernambuco ».
Je laisse le mot de la fin au grand musicien Jacob do Bandolim chez qui il fut révélé au monde du choro: « Canhoto da Paraíba est digne de notre admiration, de notre respect, car il incarne cette portion de Brésiliens qui vivent enterrés dans ces lointains recoins, véritables trésors complètement ostracisés ».
Canhoto da Paraíba – Único Amor (Rozenblit, 1968). Acheter sur itunes.
L’album
Unico Amor qui n’a pas été réédité en CD, est proposé en téléchargement par le formidable site
Acervo Origens (cliquez sur « baixar »).