Gui Amabis avait été révélé en 2011 avec son beau premier album, Memórias Luso-Africanas. Il y contait l’histoire de sa famille, celle de migrants venus d’Afrique et du Portugal. Des histoires de voyage, d’amour et de métissage à la croisée des continents que lui racontait sa grand-mère. Une histoire que Gui Amabis a fait revivre au moment où cette dernière commençait à perdre la mémoire. Une histoire douloureuse, lumineuse, faite de fragments, de scènes recollées, comme peuvent l’être les souvenirs.
Son deuxième album Trabalhos Carnívoros ne s’inscrit pas dans la même veine autobiographique mais est paradoxalement bien plus personnel. Les paroles ne racontent plus d’histoires mais des sensations, des moments, tous chantés par lui-même à la première personne du singulier. Car s’il partageait le micro sur son précédent album avec Lucas Santtana, Criolo, Céu et Tulipa Ruiz, il assume désormais pleinement son rôle d’interprète. Comme il nous le confiait dans une interview: « Trabalhos Carnívoros est différent de mon premier disque, j’ai senti que c’était un disque personnel, ça n’avait pas de sens d’avoir d’autres voix, c’étaient mes histoires. J’étais plus confiant pour chanter et venir sur scène dans ce rôle ». Une bonne nouvelle car avec son superbe timbre de voix doux mais non sans aspérité, il se révèle être le mieux placé pour chanter ses compositions.
Comme sur son premier album, on est frappé par sa maîtrise du son et des arrangements, égalée dans la scène brésilienne contemporaine que par Lucas Santtana. Une maîtrise qui vient directement de ses expériences comme producteur et musicien. Avant de se lancer – tardivement – dans une carrière solo, il a longtemps travaillé pour le cinéma et la télé brésilienne (Cidade dos Homens, Quincas Berro D’Água) mais aussi pour des films hollywoodiens, aux côtés de son compatriote Antonio Pinto (Collateral, Lords of War, Perfect Stranger). Ce travail sur les bandes originales lui a permis d’affiner son goût pour les textures et les ambiances. Homme de goût en la matière, il cite comme références les maîtres Angelo Badalamenti (David Lynch) et Ennio Morricone (Sergio Leone).
Parallèlement, Gui Amabis a produit certains des meilleurs musiciens de la scène actuelle de São Paulo, notamment Céu, son ex-femme et une des rares à s’être exportée à l’international et le génial Rodrigo Campos (membre de Passo Torto). Lui-même s’était lancé dans la composition de chansons au sein du super-groupe Sonantes.
Si Memórias Luso/Africanas comptait une foule d’invités prestigieux, Trabalhos Carnívoros se recentre sur un groupe de musiciens plus resserré : Dustan Gallas à la guitare électrique, Samuel Fraga à la batterie, Ferananda Monteiro au violoncelle et Gui Amabis lui-même au clavier. On retrouve également sur quelques titres, Dengue (Nação Zumbi), Pupillo et son frère Rica Amabis qui l’accompagnent depuis la période de Sonantes. Mais le musicien le plus présent sur le disque est sans conteste Regis Damasceno, connu pour être membre de Cidadão Instigado, le groupe le plus important de l’Etat du Ceará des 20 dernières années. Si Regis Damasceno jouait déjà sur Memórias, sa guitare électrique imprime désormais sa marque tout au long l’album. Il coproduit aussi l’album et co-signe deux compositions dont Pena Mais que Perfeita reprise par Juçara Marçal sur Encarnado. Ce fan des Pink Floyd n’est d’ailleurs sans doute pas étranger au petit parfum 70’s qui émane du disque.
Gui Amabis présente Trabalhos Carnívoros comme « un album qui mélange beaucoup de choses, qui tente d’unir la religion, la biologie, et l’amour dans une unique conception. Des choses qui sont opposées mais qui d’une certaine manière se complètent. Il parle de la condition humaine et de comment je me sens homme sur ce plan ». Mais Trabalhos Carnívoros ne serait être résumé en une phrase ni épuisé en un article. Il fait partie des albums qui se révèlent un peu plus à chaque écoute tout en gardant toujours de leur mystère, ce qui est assurément la marque des grands disques.
Gui Amabis – Trabalhos Carnívoros. YB Music. 2012 / Réédition internationale par Mais Um Discos, 2014 (bandcamp).