Pour Siba, Avante (« en avant ») représente une nouvelle métamorphose, un nouveau saut comme l’indique le morceau emblématique du disque Preparando o salto. Mais pas le premier, tant la carrière du chanteur pernambucano qui s’étale déjà sur deux décennies est marquée par ces changements de direction.
Le premier saut de Siba fut de sortir du microcosme de la fac de musique versé dans le rock pour se lancer à corps perdu dans les musiques locales, à l’époque snobées par la jeunesse de Recife (maracatu de baque solto, côco de roda, ciranda, frevo, cantoria…). Il s’initie à la rabeca, une sorte de violon populaire et fonde Mestre Ambrósio qui allait devenir un des piliers du mangue-beat, un mouvement de réappropriation des rythmes du Pernambuco avec le son et l’urgence du rock.
Mestre Ambrósio avait un son moins électrique que les autres groupes phares du mangue-beat, Nação Zumbi et Mundo Livre SA. Pour cette raison, il est considéré comme le plus traditionnel de cette scène. Cela témoigne du préjugé persistant qui associe instruments amplifiés, platines ou pédales d’effets à la modernité et les instruments acoustiques à la tradition, alors que tous s’inscrivent dans une tradition, à charge pour chaque musicien de dialoguer avec son époque.
Le deuxième saut de Siba fut de quitter Mestre Ambrósio pour s’installer à Nazaré da Mata, une petite ville de province, mais capitale culturelle du maracatu. Il y fonde avec des musiciens « amateurs », coupeurs de cannes à sucre, l’immense Fuloresta do Samba. C’est à cette époque et avec la même ambition artistique que Siba produit les albums de maîtres de samba de côco, ciranda et maracatu restés à l’écart de l’industrie phonographique, réunis au sein de la collection Poetas Da Mata Norte (João Limoeiro, Ze de Teté, João Paulo et Barachinha…). En 2009, Siba lance un album en duo avec Roberto Corrêa où, sans abandonner la rabeca, il revisite les violas caipira et dinamica, guitares typiques du Nordeste.
C’est vers cette époque que Siba connait une profonde crise existentielle qui aboutit à une reconstruction personnelle – et donc artistique – dont Avante est à la fois le sujet et le fruit. Si son installation à Nazaré da Mata avait accompagné son désir de se dédier au maracatu, son retour en 2011 à São Paulo où il avait déjà vécu 6 ans, prolonge sa recherche d’un nouveau son, d’une nouvelle identité: « Pour faire le saut d’Avante, j’ai dû réunir un peu de toutes ces choses que j’ai été. Des moments distincts de ma vie. Me raconter à nouveau ma propre histoire personnelle, celle que nous construisons jour après jour, que nous collectons, rejetons, oublions, recréons et même inventons. Sans plan, ou n’importe lequel, mais lequel ? Musical, poétique, géographique, littéraire, mystique, rationnel ? (…) là pour la première fois j’ai pensé que je devais réapprendre à écrire et à chanter pour rendre compte de la complexité de ma vie personnelle, avant que je ne perde la voix ».
Siba se met « la tête sous la guillotine« . Il se met à « rejouer de la guitare, faire un projet électrique dont certains diront qu’il s’agit d’une reniement du passé. Il y a une partie de mon public qui me voit comme un défenseur des racines de la culture populaire et de l’identité du Pernambuco et du Brésil. Mais qu’est ce que je peux faire ? Le risque n’est pas forcément de se nier, mais je crois que l’artiste doit savoir où est l’endroit où il prend des risques, et d’y aller, où que ce soit.«
Siba, désormais père et jeune quadragénaire ré-empoigne la guitare électrique dont il jouait déjà occasionnellement avec Mestre Ambrósio. Il renoue avec sa passion adolescente pour Jimi Hendrix, Jimmy Page et Lemmy. Il approfondit son goût pour la musique africaine moderne, celle des grands orchestres des années 60-70 où la guitare électrique était reine, celle du Bembeya Jazz, du Star Number One de Dakar, du Super Rail Band. Et surtout celle de l’OK Jazz, le plus grand groupe africain moderne mené par le génial Franco dont le travail de transformation de la musique cubaine par la guitare électrique sert d’inspiration à Siba, tout comme celle des Congolais contemporains de Konono n°1 et du Kasai Allstars. Une référence africaine de plus en plus prégnante ces dernières années au Brésil, et qui le rapproche des guitaristes Kiko Dinucci ou Rodrigo Caçapa, qui signe certains arrangements de l’album.
Siba puise dans ces diverses sources musicales pour se créer son propre son qui est comme chez tout véritable artiste, différent de la somme de ses inspirations. Un nouveau son, et donc un nouveau groupe, composé outre de sa guitare électrique, de batterie, clavier et vibraphone et d’un tuba en guise de basse, comme dans le maracatu. Un genre que Siba ne renie d’ailleurs jamais, tout comme la poésie des cantorias da viola qui restent très présents dans la versification, la construction harmonique des mélodies, les rythmes et les arrangements tout en contrepoints plus qu’en accords plaqués. Le son doit aussi à l’influence du producteur de l’album Fernando Catatau du Cidadão instigado, musicien clé de la scène indé brésilienne. On note aussi la présence sur Um ver Preso de Lirinha, autre grand poète-musicien du Pernambuco dont le premier album solo, Lira sorti en 2011, a une démarche assez similaire à celle de Siba.
Il ne faut pas comprendre le son d’Avante comme la modernisation de rythmes traditionnels du Pernambuco par un instrument ou un style, le rock qui serait lui moderne. Siba s’intéresse aux racines mais jamais de manière traditionaliste. « J’ai toujours essayé d’expliquer la tradition comme le lignage de quelque chose qui s’est construit avec le temps. Pas comme une chose à défendre ou qui représente un drapeau de je ne sais quoi, qu’il soit politique, nationaliste ou régional. La tradition est une chose qu’un groupe de personnes a cultivé pendant un moment, et de là est apparu une diversité. Dans ce sens, le rock’n’ roll est autant une tradition que le maracatu. »
L’album est comme à l’habitude de Siba, porté par ses superbes paroles qui évoquent toutes la perte de sens, l’errance, la reconstruction portées par des métaphores puissantes, sons sens de la rime et chantées avec sa voix fébrile et intense de chanteur de maracatu. Quand on demande à Siba s’il a « effectué le saut » évoqué dans Preparando o Salto, répond: « Le saut n’a pas besoin d’être fait. Et toi seulement peut le faire, je crois. Ce n’est pas justement sauter, mais avoir le courage de préparer le saut. Ça a plus à voir avec le bord du précipice qu’avoir le saut lui même. A chaque minute tu sautes. Le saut est dans la tête« .
Siba – Avante. Indépendant, 2012. Sortie en Europe par Mais Um Discos, 2013.
Acheter l’album sur le bandcamp de Mais um Discos ou sur itunes. En écoute sur spotify.
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