Arcoverde est réputée être une cité-dortoir sans charme ni culture, et est surnommée la porte du Sertão. C’est pourtant là qu’est né un des groupes les plus singuliers de la dernière décennie : O cordel do Fogo Encantado.
Le nom de ce « Cordel de feu enchanté » vient des fameux « cordel » du Pernambuco, ces histoires populaires vendues dans les marchés ou par des vendeurs ambulants, pendues à des « cordes » et illustrées de xylogravures, telles les magnifiques de J. Borges. C’est qu’avant d’être un groupe, le Cordel do Fogo Encantado était un spectacle joué dans la rue ou au théâtre. José Paes de Lira déclamait de la poésie et jouait des scènes, entrecoupés d’intermèdes musicaux où il était accompagné de Clayton Barros et d’Emerson Calado.
Bien qu’aujourd’hui en perte de vitesse, cette déclamation de poèmes populaires, tout comme la versification improvisée est une tradition ancienne dans la région, très forte chez les cantadores de viola et les emboladas. Enfant, José Paes de Lira participait à des récitations de poèmes dans la fazenda de ses grands-parents, et à 12 ans déjà, il accompagnait professionnellement le chanteur de cantoria Ivanildo Vilanova. C’est de là que vient la poésie de José Paes de Lira, de ces poètes populaires dont on ne parle jamais à la fac de lettre dans laquelle Lira fit un bref passage: Zé da Luz, Manoel Filó, Manoel Chudu, João Cabral de Melo Neto, Inácio da Catingueira, Chico Pedrosa…
A partir de 1999, le Cordel do Fogo Encantado prend une tournure plus musicale et une nouvelle envergure avec l’arrivée de Nego Henrique et de Rafa Almeida. A la guitare de Clayton Barros dont il joue dans le style du sertão comme Elomar, se joignent des percussionnistes marqués tant par les rythmes toré des indiens Xucurus, que par les rythmes afro-brésiliens: pontos d’umbanda et de candomblé, samba de roda. La troupe quitte alors les théâtres pour les salles de concert et la musique qui occupait une petite place devient le cœur du spectacle. Lirinha comme est surnommé José Paes de Lira ponctue néanmoins toujours les concerts de ses poèmes déclamés, comme Maria Bethânia, Gil Scott Heron ou Jim Morrisson avant lui.
Les influences du groupe tranchent radicalement avec la production de l’époque, même avec celle du mouvement manguebit auquel on a parfois rattaché le groupe et qui est alors à son apogée dans la capitale voisine, Recife. Le Cordel s’inscrit dans une certaine mesure dans le sillage du manguebit né une décennie plus tôt. Le groupe partage avec ce mouvement un attachement aux formes d’art du Nordeste les plus populaires, une posture contemporaine de recherche et d’expérimentation et éloignée de tout purisme et contre le rejet d’une tentation régionaliste, le souhait de parler au Brésil et au monde entier. Mais Arcoverde n’est pas Recife, le sertão rural n’est pas la culture littorale de Recife et si certaines références sont communes le groupe a une dynamique différente et un style tout à fait unique.
En 2000, le Cordel entre dans les studios. A la production, ils invitent le grand percussionniste et maître du berimbau Naná Vasconcelos, un musicien qui partage avec eux le goût pour les racines et l’expérimentation. L’album s’attache à restituer l’énergie et la folie presque légendaire des concerts du groupe. Il ne ressemble à rien de ce qui a été enregistré jusqu’alors. La poésie lyrique et puissante de Lirinha et des poètes populaire comme Zé da Luz est chantée et déclamée de sa voix habitée. Les percussions omniprésentes sont parfois proches de l’intensité d’une batterie de metal mais n’écrasent jamais les morceaux. Clayton Barros joue avec sa guitare acoustique virtuose et signe plusieurs morceaux avec Lirinha.
Tout un mélange inédit qui permet au groupe, non seulement de confirmer sa réputation dans le Pernambuco mais de séduire le Brésil tout entier. 15.000 albums vendus, du jamais vu pour un groupe d’Arcoverde. Des concerts dans tout le Brésil et même en Europe, plusieurs albums qui suivent en maintenant le niveau achèvent de positionner le Cordel comme un des groupes les plus singuliers de sa génération. Leur carrière s’achève en 2010, avant l’album de trop, et le départ en solo de Lirinha vers des sonorités plus rock.
Cordel do fogo encantado, 2001
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