Romulo Fróes – Dix ans

Romulo froes calado 2004

2004 – 2014. Dix ans séparent Calado, le premier LP de Romulo Fróes de son cinquième disque, Barulho Feio. La pochette entièrement blanche à l’exception d’une esquisse de bouche a laissé place à un noir d’encre où se dessine un paysage industriel hantés de vautours ; de muet (calado), le Paulista est passé au « vacarme laid » (barulho feio), reflet de sa trajectoire musicale.

En 2004, Romulo Fróes jouait une samba intimiste pour une poignée de mélomanes. Son chant taciturne et introverti était empreint de la mélancolie des grands maîtres de la samba : Nelson Cavaquinho son compositeur fétiche mais aussi Batatinha ou encore Noel Rosa et Ataulfo Alves qu’ils reprenaient dans un medley funèbre (Fita Amarela / Na cadencia do samba). Il convoquait même Donah Ina, grande et vénérable interprète de la samba de São Paulo sur Dorme a lua / Não me pergunte.

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Pochette de Barulho Feio

On retrouvait bien sur Calado les rythmes, les instruments et les thèmes emblématiques de la samba. Mais une cuíca simulant un gémissement de chien ou les feulements dissonants d’une contrebasse venaient par petites touches, bousculer son univers ultracodifié, qui comme le dit Romulo Fróes, peut emprisonner les musiciens comme dans une camisole de force.

La samba esseulée de Romulo Fróes était déjà à mille lieux des pagodes commerciales ou de la fête collective du carnaval. Pour tout dire, il refusait même l’étiquette de sambista. Comme avant lui Adoniran Barbosa, Nelson Cavaquinho, ou même Caetano Veloso, il ne se revendiquait pas instrumentiste, à peine musicien. Ce n’est pas tout à fait faux d’ailleurs, car il a fait ses armes dans l’art contemporain, travaillant 16 ans comme assistant des plasticiens Clima et Nuno Ramos, qui composent d’ailleurs certains des titres de l’album. Cette distance avec le monde de la samba lui permet d’aborder librement le genre ; Romulo Fróes aime la samba, et pour cette raison, sait lui être infidèle. C’est peut-être ce qui fait de Calado un des plus plus beaux disques de samba des années 2000.

Flashforward en 2014. Dix ans se sont écoulés depuis Calado et le paysage musical a bien changé. La révolution Internet est passé par là, comme en leur temps celles du disque, de la radio et de la télévision. Les majors ont mis un genou à terre ; les labels indépendants ont été décimés. Mais les jeunes artistes brésiliens ont su s’adapter : ils s’autoproduisent, s’autodistribuent, multiplient les groupes et les projets parallèles parfois non musicaux, et mettent en ligne gratuitement leurs albums pour vivre de la scène.

Photo: Ariel martini

Romulo Fróes – Photo: Ariel martini

Pendant cette décennie, la musique excitante a migré ; Romulo Fróes n’a plus à regarder avec envie la scène indépendante de Rio de Janeiro (Los Hermanos, Mulheres Q Dizem Sim, Domenico, Kassin…). C’est désormais à São Paulo que tout se passe. La scène indé paulista s’est trouvée des ambassadeurs (Tulipa Ruiz, Criolo, Curumin, Lucas Santtana). Elle a un même son théoricien et porte-parole en la personne de Romulo Fróes lui-même, toujours intarissable quand il s’agit d’évoquer ses contemporains. Surtout, il peut compter sur une galera de musiciens au moins aussi fous que lui : Kiko Dinucci, Rodrigo Campos, Juçara Marçal, Thiago França, Marcelo Cabral et quelques autres. Il forme avec certains d’entre eux le groupe Passo Torto et c’est naturellement qu’on les retrouve à ses côtés pour l’accompagner sur Barulho Feio.

Musicalement, Romulo Fróes a bien évolué en dix ans. Il n’a plus besoin de se tourner vers la samba ou le rock-MPB de Rio de Janeiro qui lui servaient encore de références. La galera de São Paulo a forgé un son bien à elle ; ou plutôt une multitude de sons qui varient selon la dizaine de projets poursuivis simultanément et qui se nourrissent mutuellement. Pour Barulho Feio, c’est un son inquiet et sombre, une atmosphère de calme après la tempête, où à la guitare minimale de Romulo Fróes traversée de silence, répond le brouhaha de la ville, déchiré par les fulgurances du saxo de Thiago França, de la guitare électrique de Guilherme Held et de la contrebasse de Marcelo Cabral. Mais derrière ce vacarme, Romulo Fróes a moins que jamais, renoncé à la beauté de la chanson, il sait juste qu’il faut la chercher là où on ne l’attend pas, perdue au milieu du barulho feio.

Les disques de Romulo Fróes sont offerts en téléchargement sur son site officiel.

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