Racionais MC’s – Sobrevivendo no inferno – Le CNN des favelas

5-RACIONAIS-MCS-SOBREVIVENDO-NO-INFERNO-2000Quand ils sortent Sobrevivendo no inferno en 1997, les Racionais MCs sont déjà le fer de lance du jeune rap brésilien. Cela fait déjà 10 ans que Mano Brown, Edy Rock, Ice Blue et KL Jay travaillent dans l’ombre à développer une scène hip hop au Brésil, 10 ans depuis la compilation fondatrice, Consciência Black, Vol. I sortie en 1988. Ils publient durant cette période trois albums studio, Holocausto Urbano (1990) Escolha seu Caminho (1992) et Raio X Brasil (1993) chacun meilleur que le précédent. Malgré des titres cultes tels Fim De Semana No Parque et Homen na Estrada, la fan base du groupe reste cantonnée à la jeunesse des favelas de São Paulo.

Deux événements font braquer les projecteurs sur le crew. D’abord leur participation à RAPensado e Educação, un projet du Ministère de l’éducation qui organise des débats et des conférences sur les problèmes des favelas à travers le rap. Puis l’arrestation par la police du groupe, accusé d’inciter à la violence lors d’un concert en 1994 qui a tourné à l’émeute. Une ambivalence entre leur démarche positive et éducative et un discours rebelle très marqué qui les suivra tout au long de leur carrière.

racionais McsEn 1997, quatre ans après leur dernier disque, les Racionais MC’s publient Sobrevivendo no inferno, aujourd’hui unanimement considéré comme le premier « grand album » du rap brésilien éclipsant dans l’ombre ceux de Planet Hemp ou Thaíde & DJ Hum. Le groupe a quitté Zimbabwe, le petit label de leur début pour se lancer en indépendant sur leur propre label Costa Nostra. Malgré cela, certaines radios suivent et même MTV diffuse le clip d’un single. L’album a un impact retentissant et se vend à près de 500.000 exemplaires. Pour la première fois, du rap brésilien va au delà du public de jeunes favelados.

Pourtant, Sobrevivendo no inferno, est tout sauf racoleur. Les productions de KL Jay samplent l’âge d’or du funk et de la soul américains, des Isley brothers à Curtis Mayfield. Il y a du groove mais les beats sont austères à l’image du titre Jorge da Capadocia qui sample Ike’s Rap II d’Isaac Hayes, le même sample à la base de Glory Box de Portishead.  Le rap des Racionais Mc’s a beau se nourrir de funk américain, il est est bien éloigné de l’esprit dansant et festif des bals funk (baile funk) où naît à la même époque à Rio de Janeiro le funk carioca.

Les Racionais MC’s eux ne sont pas là pour divertir. Leurs morceaux n’ont pas de refrain et dépassent parfois les 10 minutes. On retrouve chez eux la fascination pour les ambiances sombres et moites du Wu Tang ou de Mobb Deep, mais leur grande référence est le rap engagé de Public Enemy. Pour paraphraser Chuck D, le leader de Public Enemy, les Racionais MC’s voient le rap comme le CNN (ou plutôt le Globo) des favelas. Pour la petite anecdote, lors d’un concert de Public Enemy en 1991 à São Paulo, les Racionais MC’s avaient réussi à s’incruster sur la scène de leurs idoles pour jouer un morceau en première partie.

Racionais MC's - 1993 - 1Du côté de leurs références, il faut aussi citer deux fameux musiciens brésiliens. Jorge Ben, le premier à faire le lien entre samba et les musiques noires américaines (jazz, rock, funk…) ; Sobrevivendo no inferno s’ouvre d’ailleurs sur une reprise de son titre Jorge da Capadócia. Et Tim Maia, le grand ambassadeur de la soul au Brésil. Le nom du groupe fait d’ailleurs référence à son album Racional et Fórmula Mágica da Paz sample une chanson de Tim Maia, comme c’était déjà le cas pour Homem na estrada.

Comme Jorge Ben et Tim Maia qui ont puisé dans la black culture américaine pour chanter le Brésil des années 60-70, les Racionais MC’s s’appuient sur l’esthétique rebelle du hip hop pour parler de leur São Paulo. Et il y a des choses à dire car comme le signale l’introduction de Capítulo 4, Versículo 3 « 60% des jeunes de banlieue sans antécédent judiciaires ont déjà été victime de violence policière. Pour 4 personnes tuées par la police, 3 sont noires. Dans les universités brésiliennes, seuls 2% des étudiants sont noirs. Tous les quatre heures, un jeune noir meurt violemment à São Paulo ». Fort heureusement, les Racionais MC’s ne rappent pas des statistiques mais témoignent dans la grande tradition du rap, de l’intérieur et à la première personne du singulier.

Mano Brown, qui porte le groupe avec son charisme imposant et son flow posé, rappe le chant du cygne d’un malfrat qui se remémore sa vie alors qu’il s’apprête à mourir (Tô Ouvindo Alguém me Chamar). Co-écrite avec Jocenir, un ex-détenu, le même MC raconte le récit de la mutinerie dans la prison de Carandiru, qui abouti au massacre de 111 prisonniers (Diário de um Detento). Mano Brown encore, toujours derrière les meilleurs titres de l’album, évoque la vie dans un quartier pauvre de São Paulo « Cette merde est un champ de mines / j’ai pensé tant de fois à me casser d’ici. / Mais ce quartier là c’est tout ce que j’ai / ma vie est ici et j’ai pas besoin de partir / c’est très facile de partir mais je ne le ferai pas / je ne trahirai pas qui j’ai été et qui je suis »  jusqu’à parfois se faire lyrique comme dans une samba de Cartola « Aujourd’hui je me suis réveillé tôt pour sentir la brise du matin et voir le jour se lever » (Fórmula Mágica da Paz).

Racionais+Mcs+racionais+1Le succès assez phénoménale de Sobrevivendo no inferno, à peine entravé par le refus du groupe de jouer le jeu des médias, en fait le porte étendard du rap brésilien qui éclot dans son sillage : Marcelo D2, Sabotage, 509-E, SNJ ou encore MV Bill. Les Racionais MC’s eux confirmeront leur place de patron du rap brésilien en 2002 avec l’immense Nada Como Um Dia Após O Outro Dia avant de se taire pendant plus d’une décennie.

Peut-on faire du rap brésilien sans singer les Américains ? Un rappeur non américain est il condamné à n’être qu’une parodie ou un vulgaire clown comme peuvent l’être ces chanteurs de Bollywood déguisés en Mickael Jackson ? La question est légitime. Sobrevivendo no inferno est de ces disques qui ont permis d’y répondre.

Racionais Mcs – Sobrevivendo no inferno. Cosa Nostra, 1997.

 

 

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