Riachão, ou le samba comme élixir de jouvence

Olivier Cathus est un amoureux de Bahia. Son blog Afro-Sambas étant inaccessible depuis quelques années, je reproduis le bel hommage qu’il avait rendu à Riachão en 2011. Tout l’article qui suit est de sa plume.

Riachão est un pur soteropolitano, un habitant de Salvador : né dans le quartier de Gracia, il n’en a jamais bougé. Bien sûr, il a commencé tout gosse à chanter et taper le rythme sur les premières boîtes venues mais c’est en 1944 qu’il est embauché à Rádio Sociedade où il chante en trio. Il a aussi beaucoup chanté en duo, dans ces fameuses duplas sertanejas. Car s’il est un sambiste en majesté, Riachão a eu le temps de se frotter à différents styles, du forró au choro, sans oublier toute la gamme des rythmes régionaux.

S’il s’est composé un répertoire au gré des décennies, un seul de ses titres a connu une véritable renommée au-delà des cercles de samba bahianais : « Cado Macaco no seu Galho ». Caetano Veloso et Gilberto Gil l’ont, en effet, interprété sur leur album Barra 69 ao Vivo na Bahia, enregistré à la veille de leur exil londonien, mais sorti seulement à leur retour, en 1972. Ces circonstances confèrent au morceau une portée symbolique. Une portée symbolique qu’ils ont accentué plus encore en reprenant le morceau en 1993 sur leur album commun Tropicália 2 qui marquait les vingt-cinq ans du mouvement tropicaliste. Une version qui, pour l’anecdote, compte avec Carlinhos Brown aux percus.

Cette absence de morceaux devenus des standards a fait dire à Luiz Américo Lisboa Junior, historien bahianais de la musique, que le répertoire de Riachão, hormis « Cada Macaco… », était assez moyen comparé à celui de ses contemporains, Edil Pacheco ou Roque Ferreira. Mais on pourrait aussi prendre les choses en renversant la perspective : si Riachão est peu repris par les autres sambistes, toutes générations confondues, c’est surtout parce que ses chansons possèdent un ton si personnel qu’il est difficile à d’autres de se les approprier.

Car Riachão est un authentique titi bahianais, un type qui a le sens de l’observation et celui de la description, une description marquée de sa gouaille argotique. On décrit sa verve comme journalistique mais du journalisme, il semble voué à la modeste rubrique des chiens écrasés. Si tant est qu’une telle rubrique puisse exister avec une telle truculence, un tel amour de sa terre. A ce titre, ces morceaux « animaliers » font partie des pièces de choix de ce répertoire : « Baleia da Sé » et « Tartaruga 70 ». La première raconte comment, en 1959, une baleine embaumée fut exposée Praça da Sé, dans le centre historique de Salvador. Les Américains ayant organisé l’événement financèrent par la même occasion la chanson de Riachão qui narre les faits. C’est d’ailleurs un succès emblématique de son style. Et la postérité retiendra qu’il est celui qui a vu le « nombril de la baleine » !

Chroniqueur de sa ville, il en a vanté les douceurs comme dans « Retrato da Bahia », ce portrait de Bahia où il salive à l’évocation de la cuisine au parfum de dendê et qui chante en guise de refrain : « acarajé, ô ô ô » ! Parce qu’à Bahia la poésie populaire commence en disant « dendê ». Conteur aux mille anecdotes, il est une mémoire vivante de sa ville.

Malgré les années, Riachão a gardé une pêche absolument incroyable. C’est le type qui passe son temps à chanter et danser dans la rue. C’est d’ailleurs ce tempérament qui a fait sa légende, autant que son répertoire tant le petit bonhomme est intenable et d’une bonne humeur contagieuse. D’ailleurs, Riachão se dépense tellement que  son indispensable accessoire de mode est une serviette éponge. Ici, on se protège du froid avec une écharpe. A Bahia, on se pose une serviette sur les épaules pour s’éponger la sueur… même si ça casse un peu le look.

Il y a une dizaine d’années, Paquito et Jota Velloso ont rendu hommage à deux légendes de ce samba de Bahia. Ils ont enregistré deux albums qui invitent Batatinha et Riachão et les entourent d’invités prestigieux pour interpréter les perles de leur répertoire et leur offrir un magnifique écrin. C’est Diplomacia, en 1998, pour Batatinha, et Humaneochum pour Riachão, en 2000.

Riachão n’est pas complètement inconnu en France. En 2005, lors de l’Année du Brésil en France, il s’est produit à la Cité de la Musique. N’habitant déjà plus Paris à l’époque, j’ai raté l’événement, hélas.

Marcel Camus n’a pas tourné qu’Orfeu Negro au Brésil. En 1975, il réalise également Otalia da Bahia, adapté du roman de Jorge Amado, Les Pâtres de la Nuit. Un film auquel a participé Riachão mais que je n’ai jamais eu l’occasion de voir. Pas plus que je n’ai vu le documentaire que Jorge Alfredo lui a consacré en 2001 : Samba Riachão. On se contentera du trailer, on y retrouve tous ces Bahianais illustres venus lui rendre hommage : Dorival Caymmi, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Tom Zé et Carlinhos Brown…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *