O Canto dos Escravos – mémoire vivante de l’esclavage

Ce n’est peut être un hasard si j’ai envie ce soir de vous parler d‘O canto dos Escravos, alors que je suis plongé dans la lecture de Segou de Maryse Conde. Ce grand roman se déroule essentiellement dans le territoire de l’actuel Mali et raconte les Bambaras, les Toulouleurs, les Ashanti, les Peuls et tant d’autres peuples avant, pendant et après la traite négrière. O Canto dos Escravos nous donne à entendre les chants de ceux qui furent emmenés au Brésil. Ce ne sont pas des chansons “inspirées” de l’histoire de l’esclavage. Ce sont les chants eux-mêmes, les pontos de escravos.

Le disque a été produit par le chercheur et musicien carioca Mazinho, à partir de collectes ethnomusicologiques effectuées dans le Minas Gerais par Rossini Corrêa en 1926 — un siècle après l’interdiction officielle de l’esclavage, mais à une époque où ses cicatrices restent à vif. C’est dire si ces chants sont précieux : rares, transmis oralement, et menacés d’oubli. Pour l’interpréter, ils font appel à trois grands chanteurs de samba, noirs, évidemment. Clementina de Jesus bien sûr, qui avait déjà préfiguré dans ses précédents disques ce travail de mémoire. Sa voix est toujours aussi imposante, archaïque presque mais dans le plus noble sens du terme. À ses côtés, Tia Doca, puissante et sincère et Geraldo Filme, pilier de la culture noire paulista, donnent une assise militante à ce disque. Ensemble ils reprennent ces vieux chants et remontent le fil de la mémoire.

Musicalement, c’est le dépouillement total. Seule des percussions assez discrètes accompagnent les chants. Pas d’harmonies, pas d’autres arrangements. Ce n’est pas un disque à écouter pour le “plaisir”. Ici, la musique n’est pas un divertissement, elle est recueillement. Et pourtant, il y a aussi de la beauté. Une beauté rugueuse, âpre. Dans la répétition incantatoire, dans les appels et réponses qui construisent l’espace communautaire du chant. C’est un disque sans posture, il est brut, il impressionne plus qu’il séduit. Alors on écoute avec respect et une pointe de de gravité, cette archive sonore de l’esclavage. La voix des anonymes, des oubliés, des résistants peut être qui ont jadis créé ces chants, dans les  quilombos ou les senzalas.

O Canto dos Escravos n’est pas un album comme les autres.Il est de ces œuvres qui nous rappellent que la musique, parfois, n’est pas seulement à écouter mais aussi à transmettre.

O CANTO DOS ESCRAVOS. Clementina de Jesus · Geraldo Filme · Dona Doca da Portela, 1982

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