Il y a dans la voix de Martinho da Vila quelque chose d’un sourire. Pas un sourire béat, ni de façade — mais une bienveillance, une chaleur douce, une gaieté grave. Et qui nous invite à chanter avec lui, comme Canta, Canta Minha Gente.
Nous sommes en 1974, en pleine dictature militaire. La censure rôde, la MPB s’habille souvent de second degré ou d’allégories. Mais Martinho, lui, trace une autre voie : celle d’une samba populaire, immédiate, terrienne. Il est déjà célèbre depuis son premier disque paru en 1969. Sans se cacher, mais sans chercher non plus à frontalement provoquer. Sa samba n’a pas besoin de crier pour exister — elle se rend subversive justement parce qu’elle continue à rire, à danser, à raconter la vie.
Le disque s’ouvre sur l’hymne qui donne son titre à l’album, devenu depuis une sorte de slogan du Brésil qui veut tenir debout malgré tout : « Canta, canta minha gente / Deixa a tristeza pra lá ». Martinho ne nie pas la douleur, il l’accueille et la renvoie dans la rue, dans le chant collectif, dans la communauté. C’est la philosophie de la roda, du carnaval aussi : on sèche les larmes en chantant.
Musicalement, l’album est un bijou de simplicité raffinée. On est loin des grosses orchestrations de la samba-enredo, mais on n’est pas non plus dans l’épure radicale. Martinho est au cœur d’un ensemble qui groove, qui balance, qui sourit. Les percussions sont là, bien sûr, le cavaquinho aussi. C’est la jeune garde de la samba, en équilibre entre tradition et avant-garde comme pouvait le jouer à la même époque Paulinho da Viola.
Et puis il y a ses textes. Martinho a ce talent d’écrire des paroles profondes avec des mots simples. Il parle d’amour, de politique, de foi, de quotidien. Dans « Disritmia », il parle du cœur qui bat mal, mais c’est aussi une métaphore de la société malade. Il évoque son école de samba, Vila Isabel (Renascer das Cinzas), la religion afro-brésilienne (Festa de umbanda),le football (Calango Vascaíno), les Amérindiens (Tribo dos Carajás). Parmi ses compositions se glisse une ancienne chanson de Donga, Pixinguinha et João da Bahiana.
Il y a dans Canta, Canta Minha Gente une vision du Brésil : populaire, noire, joyeuse, blessée mais non brisée. Martinho y incarne une forme de résistance douce, mais tenace. Pas celle des slogans, mais celle du quotidien, de la culture qui persiste, dans le rire, dans la fête. C’est un disque qui fait du bien — et pas seulement parce qu’il est beau. Mais parce qu’il nous rappelle que la joie, parfois, est une arme. Et que chanter ensemble, c’est déjà se tenir debout.
Martinho da Vila – Canta, Canta Minha Gente (1974)