Le blog Afro-Sambas.fr d’Olivier Cathus étant inaccessible depuis quelques années, je reproduis sa chronique de cet album de Metá Metá . Tout l’article qui suit est de sa plume.
Vrai, quand on pense à São Paulo, ce n’est pas le samba qui nous vient à l’esprit. Même s’il a existé de grandes figures locales en la matière, l’industrieuse mégapole est plutôt cet incroyable carrefour cosmopolite où germent les formes métissées-globalisées d’un Brésil moderne, rock et électro. Pourtant, il existe aussi une scène pauliste qui creuse vers ses racines afro-brésiliennes, qui s’imprègne de sa spiritualité et vibre de ses rythmes. Nous allons évoquer cette scène à travers deux formations ayant trouvé son inspiration dans des afro-sambas très personnelles et originales. En commençant aujourd’hui par présenter Metá Metá, un album de Kiko Dinucci, Juçara Marçal et Thiago França qui risque fort de figurer parmi les plus beaux de l’année.
Avant de présenter ce disque, il me semble utile de préciser ce qu’on entend par afro-samba… On se souvient qu’en 1966, Vinícius de Moraes et Baden Powell ont enregistré certaines des chansons qu’ils avaient composé ensemble un peu plus tôt. Ces chansons ont été réunies sur l’album Os Afro-Sambas. Assurément un des disques essentiels de la musique brésilienne. Pour plus de détail, nous avons évoqué l’an dernier ce chef d’œuvre du point de vue de Vinícius et de celui de Baden. La particularité de cette œuvre est qu’elle a trouvé son inspiration dans la spiritualité des religions afro-brésiliennes. Les chansons s’y faisant évocation des orixas de ce panthéon : « Lamento de Exu », « Canto de Ossanha », etc… Le terme afro-samba pourrait n’être que bêtement redondant tant le samba est déjà en soi bien afro, si ce préfixe ne soulignait pas ici une particularité de plus, à savoir cette inspiration spirituelle. Ainsi, sera considérée comme afro-samba, une musique qui chantera les orixas, aura recours à la langue yoruba (ou ce qu’il en reste) même si, paradoxe, elle n’est pas stricto sensu… samba !
Kiko Dinucci est justement un jeune (il est né en 1977) artiste qui a commencé par le rock avant d’évoluer vers le samba et de s’impliquer dans une recherche sur les religions afro-brésiliennes. Cette quête spirituelle est même au cœur de son travail. Kiko Dinucci n’est pas que guitariste et compositeur, il est également peintre, graveur et réalisateur. Il a justement réalisé un film documentaire Dança das Cabaças – Exu no Brasil où il s’est interrogé sur la place occupée par Exu dans l’imaginaire brésilien. En allant à la rencontre de dignitaires des Candomblés (de tradition Nagô, Gege ou Bantoue), Tambor de Mina, Umbanda et Quimbanda, il souligne qu’Exu pourrait être décrit comme un « diable bon » quand, pendant des siècles, l’Eglise s’est acharnée à le diaboliser, engoncée dans ses notions de Bien et de Mal manichéennes. Des notions plus ambigües et complexes dans les religions afro-brésiliennes et, surtout, qui ne sont pas le prisme obligée pour appréhender la vie.
Dans la musique de Kiko Dinucci, on trouve les échos de cette force spirituelle. Que ce soit avec son groupe, Banda AfroMacarrônico, ou ici avec ce dernier projet, c’est la véritable source d’inspiration d’une grande partie de son travail.
A eux trois, Kiko, Juçara et Thiago développent un son résolument original qui ne ressemble à nul autre. Si un des plus beaux titres de l’album, “Samuel”, composé par Kiko et Rodrigo Campos, est un titre tout en douceur, il est par ailleurs très étonnant de constater que, sur cet album résolument afro, il n’y a ni batterie ni percussions sur la moitié des titres ! Mais quand Samba Ossalê aux percussions et Sérgio Machado à la batterie se mettent de la partie, sur la deuxième partie du disque, c’est une montée vertigineuse, comme si les orixas se mettaient au free !
Metá Metá est une œuvre qui ouvre les afro-sambas sur le jazz. Les tire jusqu’à l’afrobeat. Leur fait toucher sur “Obatalá”, tout en apaisement apollinien, une forme de spiritual jazz qui ne déparerait pas sur un album du collectif Build An Ark. Une façon d’en faire des méta-afro-sambas, en quelque sorte. A ceci près que le sens de méta ici est tout autre. En effet, Metá Metá est un mot yoruba qui signifie « trois en même temps », soit une synthèse de trois éléments en un seul. Kiko Dinucci, Juçara Marçal et Thiago França incarnent cette idée à merveille.