Les Mémoires Luso-Africaines de Gui Amabis

Olivier Cathus a été le blogueur français qui m’ a fait découvrir de nombreux artistes brésiliens quand j’ai commencé à m’y intéresser. Son blog Afro-sambas étant aujourd’hui fermé, je reproduis quelques une de ses chroniques, dont celle qu’il avait consacré à cet album de Gui Amabis.

Comment réaliser une œuvre intime, inspirée de l’histoire familiale tout en s’ouvrant aux autres et en les invitant à y participer pour lui donner une portée nationale ? C’est ce qu’a essayé de faire Gui Amabis avec Memórias Luso-Africanas, son premier album solo. Cet acteur clé de la scène pauliste actuelle s’est souvenu des récits de sa grand-mère pour interroger son identité complexe et traduire cette histoire en musique. Ce n’est pas tout à fait un hasard si nous évoquons cet album aujourd’hui. En effet, après avoir successivement consacré deux textes à Criolo puis Lucas Santtana, il nous semblait une coïncidence amusante de les retrouver tous les deux participant à un même projet, cet album de Gui Amabis. Et comme le Nó Na Orelha de Criolo, cet album est offert par son auteur en téléchargement gratuit !

Cette confrontation à la mémoire familiale, inspirée des récits de sa grand-mère maternelle d’origine portugaise, Firmina dos Prazeres Machado, a donné une source d’inspiration à Gui Amabis, lui qui ne se voit pas mener une carrière en son nom. Cette grand-mère était une excellente conteuse et c’est quand elle a commencé à perdre la mémoire que Gui a pu mesurer l’importance de ces histoires et celle de leur transmission. La matière était si forte que celui qui n’était jusqu’alors qu’un homme de l’ombre, certes essentiel et reconnu mais en retrait, a ressenti l’impérieux besoin de mener à terme ce projet. « J’ai compris que ces musiques sont le miroir de ce que je suis génétiquement et culturellement« , confiait-il à Rolling Stone.

Avoir des ancêtres portugais et africains nourrit une saga familiale. Mais c’est le lot commun de millions de Brésiliens qui possèdent de telles racines combinées. L’histoire familiale et intimiste de Gui Amabis incarne également celle du Brésil. Ainsi entend-on Gui, sur le premier titre gratter là où ça fait encore mal : « E pensar em meus pais e meus avós/ Que sou dois inimigos em um sò ». C’est le seul titre qu’il chante et toute la violence de l’histoire de son pays y résonne : penser à ses parents et ancêtres lui fait réaliser qu’il a en lui les deux ennemis en une seule et même personne !

Vous l’aurez compris, il ne faut pas attendre des Memórias Luso-Africanas un disque léger. C’est une œuvre introspective grave. Il ne faut pas non plus y chercher l’expression musicale des racines lusophones et africaines du Brésil. Non, Gui Amabis est un acteur central de cette jeune scène musicale de São Paulo*, là où même les traditions régionales prennent l’accent électro et la cadence digitale. Souvent, ces dernières années, ce sont justement des artistes issus de cette scène pauliste (avec un axe tendu vers Récife qui fonctionne à plein) qui auront rencontré, parmi tous leurs compatriotes, le plus grand succès international. Peut-être parce que leur musique est plus accessible et moins exotique, plus proche de nous tout en gardant un attrait venu d’ailleurs. La figure emblématique de cette nouvelle génération originaire de São Paulo est bien évidemment Céu. On la retrouve présente sur cet album, chantant deux titres et faisant les chœurs. Et pour cause, elle est l’épouse de Gui Amabis. Ensemble, ils avaient déjà monté le groupe Sonantes, également distribué en Europe, puis Gui avait produit Vagarosa, deuxième album de Céu.

Parce qu’il préfère être en retrait et, aussi, parce qu’ouvrir ce projet à d’autres voix permettait d’élargir le propos familial de Gui à l’histoire nationale, il a passé quelques invitations pour aboutir à ce générique somptueux. Outre sa femme Céu, on retrouve comme annoncé les participations de Criolo et Lucas Santtana. Tulipa Ruiz, révélation 2010 au Brésil avec son premier album Efêmera, vient également interpréter deux titres. A signaler enfin la présence de Tiganá, jeune chanteur bahianais particulièrement investi dans l’héritage africain des musiques de son pays.Outre les chanteurs, les musiciens présents sur le disque sont tous des figures omniprésentes de cette scène pauliste : de Curumin à Regis Damasceno, en passant par Thiago França. Une clique que l’on retrouve également en ordre dispersé sur les albums de Criolo et Lucas Santtana présentés ces derniers jours.

Parce qu’il a beaucoup composé pour le cinéma et la télévision, la musique de Gui Amabis s’appuie beaucoup sur les atmosphères. Il dit d’ailleurs avoir composé celle-ci comme s’il s’agissait d’un film. Memórias Luso-Africanas est une œuvre exigeante et grave. Sa seule respiration est interprétée par Tulipa Ruiz. Une chanson où Gui dit avoir voulu mettre une touche caribéenne quand je n’y entend guère qu’une pop légère et joliment ciselée. Quant à « Orquidea Ruiva » interprété par Criolo, il déclare avoir composé un morceau qui sonne « presque comme du rock arabe » ! Fi des comparaisons improbables, cet album s’inscrit effectivement dans la veine creusée par la scène pauliste et délivre aussi ses moments de grâce, comme sur « Doce Demora » chantée par Céu. Le genre de musique brésilienne susceptible de plaire au public orienté pop indie même si on peut préférer le samba, non ?

Gui Amabis, Memórias Luso-Africanas, 2011

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