Noel Rosa chantait “la samba ne vient ni des favelas, ni du centre-ville. Celui qui a déjà été amoureux sait qu’elle naît du cœur”. La vie de Cristina Buarque illustre mieux que nulle autre la dimension universelle de la samba, qui allait faire d’une gamine de la bourgeoisie de São Paulo la gardienne du temple de cette musique de Rio de Janeiro.
Elle naquit en 1950, dans une famille d’intellectuels paulista, bien loin des rodas de samba de la cidade maravilhosa. La musique avait cependant une place singulière dans cette famille où toute la fratrie ou presque devint chanteur de premier plan (d’Ana de Hollanda à Miucha en passant par le plus fameux de tous, Chico Buarque). Cristina la cadette apprit la musique en écoutant les disques de Noel Rosa, de Cyro Monteiro et de Mário Reis et en chantant avec ses grands frères et sœurs. C’est en famille qu’elle enregistra son premier morceau, à seulement 17 ans, d’un compositeur ami de son père, qui n’était nul autre que Paulo Vanzolini, puis que l’année suivante elle fut invitée par son frère Chico Buarque à chanter le merveilleux Sem Fantasia (1968).
Pourtant, loin de se lancer dans la carrière qui lui tendait les bras, Cristina Buarque disparut des radars pour ne réapparaitre que six ans plus tard. Hors du sillon bossa nova-MPB attendu, elle enregistra un pur disque de samba. C’est que pendant ces années, Cristina Buarque avait passé son temps à Rio de Janeiro, vivant de près le puissant renouveau de la samba aux côtés des maîtres: Cartola, Candeia, Nelson Cavaquinho, Clementina de Jesus, Ismael Silva. Le disque ou plutôt le compact qui en fut tiré, avec le morceau Quantas Lagrimas connut un grand succès commercial. Ce fut d’ailleurs le seul ; le reste de sa carrière se déroula loin des projecteurs.
C’est que Cristina Buarque n’a ni la voix ni le charisme de ces divas solaires qui illuminent la musique brésilienne. Mais elle a quelque chose d’autre. Un amour pur, total, viscéral de la samba, une humilité, une constance, une sensibilité qui font d’elle une des grandes passeuses de la samba dont la discographie n’a rien à envier à celles pleine de disques d’or de ses illustres contemporaines. La musique de Cristina Buarque est toujours restée dans lignée de son premier opus : un grand chant d’amour aux maîtres de la samba. Si elle ne chante presque exclusivement que des morceaux anciens, elle n’est jamais ni dans l’hommage au formol ni dans la relecture lisse. Elle chante tout simplement ce répertoire intemporel choisi avec son goût sûr. Elle pioche sans exclusive parmi les plus grandes écoles de samba, faisant la part belle aux compositeurs de l’école de son coeur, Portela. Aux hits, elle préfère les pépites que souvent elle exhume elle-même en allant discuter avec les vieux sambistas auxquels elle demande de se rappeler les chansons de leur jeunesse. Elle ne se sert pas la samba, c’est elle qui la sert. Et avec une fidélité exemplaire. Plus de quatre décennie après son premier album, son répertoire tourne toujours autour des mêmes compositeurs sans avoir dévié d’un millimètre de son approche de puriste.
En témoigne, le très bel album enregistré en live en 2007 au Teatro Fecap où Cristina Buarque est accompagnée du Terreiro Grande, groupe d’une quinzaine de musiciens originaires de la banlieue de São Paulo. C’est simplement un condensé du meilleur de la longue histoire de la samba. Tous les pères fondateurs sont chantés Bide, Manacéia, Candeia, Paulo da Portela, Zé Kéti, Mijinha, Monarco, Antônio Caetano, Heitor dos Prazeres, Cartola, Noel Rosa… une palette de compositeurs de génie dont alternent classiques et morceaux oubliés, joués par des musiciens tirés au cordeau dans le pur style des rodas de samba. Derrière les tamborims, les guitares et les cavaquinhos, émerge la délicate voix de Cristina Buarque, qui sans tirer la couverture à elle, introduit les morceaux avant qu’ils ne soient repris en chœur par le Terreiro Grande.
Concluons par ces poignants vers de Paulo da Portela qui ouvrent le disque et le résument mieux que nous ne saurions le faire : « Mon nom est déjà tombé dans l’oubli / Mon nom n’intéresse plus personne / Le temps a passé / la vieillesse arrive / Ils me regardent déjà avec dédain/ Ah, quelle saudade du passé /qui s’en va au loin » .