André Gide reprochait à un ami au goût trop timoré, « s‘il aimait la bonne musique, il ne détestait pas suffisamment la mauvaise« . Et, à raison, les amateurs même de musiques pourtant dite « populaires » ne se privent pas pour mépriser celles qu’ils jugent inférieures et en particulier les musiques de danse. Le grand Kundera lui-même parlait de « l’assommant primitivisme rythmique du rock ». Et pourtant c’est sur les pistes de danse, dans l’alcool bon marché et la drague que ces musiques sont nées, bien avant d’être récupérées par les étudiants en arts plastiques. La musique n’est pas faite que pour la contemplation respectueuse mais gagne parfois à être écoutée avec tout son corps, en dansant sur une sono imparfaite, plus concentré sur le jeu de hanche de son voisin ou de sa voisine que sur les subtilités harmoniques.
De ce point de vue, Pinduca joue une musique hautement estimable, responsable de plus d’histoires d’amour que bien des sites de rencontre. Car le « Roi du carimbó » comme il s’autocouronne possède un don incomparable pour faire danser les foules. C’est d’ailleurs en matière de rythme qu’il s’est illustré en modernisant et renouvelant les styles de son Pará natal.
Cet État du Pará, à l’extrême nord du Brésil possède une identité musicale très forte dont la siriá et le carimbó sont les champions. Mais les Paraenses sont aussi à l’écoute des musiques de la mer des Caraïbes voisine dont les radios parviennent jusqu’à leurs oreilles : cumbia colombienne, reggae jamaïcain ou merengue dominicain.
En bon paraense, Pinduca fait siennes toutes ces musiques. Dès son premier album qu’il enregistre en 1974, il inaugure le sirimbó, mot-valise qui désigne la fusion entre la siriá et le carimbó dont il ne tarde pas à égrener les tubes (Sinha Pureza, Vamos Farrear…). Il a alors 37 ans, un âge avancé pour un premier album, mais il se rattrape en publiant pendant les décennies qui suivent un album par an, avec une régularité de métronome. Après tout, le rythme c’est son domaine et il le prouve en créant tout au long de sa carrière de nombreux styles. Si tous ne sont pas passés à la postérité, c’est en revanche le cas de la fameuse lambada qu’il inaugure en 1976, même si sa paternité lui est contestée par Mestre Vieira. Chacun à sa manière, modernise le carimbó en le gorgeant des rythmes des Caraïbes et en troquant le banjo pour la guitare électrique.
La première lambada enregistrée est en tout cas bien le morceau instrumental éponyme (mais désigné comme du sambão) qu’on trouve sur son cinquième album, intitulé en toute originalité No Embalo do Carimbó e Sirimbó Vol.5. Mais ce n’est pas le seul intérêt du disque qui comprend plusieurs morceaux de bravoure agrémentées de paroles. Sur Minha Maria, Pinduca attend le chant du coq qui annonce le lever du jour pour voir sa bien aimée. Sur Vaqueiro, il invite le vacher à se lever pour tirer le lait de ses vaches. Et sur Carimbo do Pará, il chante en boucle: « viens ici que je te montre comment on danse le carimbó du Pará: comme ça, comme ça, comme ça jusqu’à la fin. »
Vous l’aurez compris, les paroles de Pinduca n’ont pas vocation à rejoindre André Gide dans la Pléiade. Mais elles n’ont pas à rougir de leur simplicité. Pinduca va à l’essentiel, sans fioriture et ses carimbós, sirimbós et autres lambadas en disent ainsi sans doute plus et de manière plus juste que bien des discours. Mais l’essentiel est ailleurs. Il est dans la musique qui malgré, ou plutôt grâce à leurs trois accords, constituent de redoutables invitations à la danse. On parie même que sa musique marche encore mieux sur les Français : carimbó, sirimbó ou lambada, évoquent à bien des égards plus les familiers zouk et reggaeton que les habituels (et pour nous autres Européens, indançables) rythmes brésiliens. A vous de nous le dire.
Pinduca – No embalo do carimbó e sirimbó vol. 5, Berverly, 1976.
L’album peut être télécharge sur le site Acervo Origens. Et pour les amateurs, Global Grooves a mis en ligne les deux premiers volumes.