Ava Rocha par Olivier Cathus

Le blog Afro-Sambas.fr d’Olivier Cathus étant inaccessible depuis quelques années, je reproduis sa chronique de cet album d’Ava Rocha. Tout l’article qui suit est de sa plume.

La pochette n’était pourtant guère engageante, Ava Rocha, l’œil sombre, semble de mauvais poil, soufflant un nuage de fumée. Le genre bohème pas aimable qui a déjà tout vu, déjà tout bu. Mais il ne faut surtout pas se fier à cette impression. Si, à contre-courant de la ligne claire de ses consœurs, Ava Rocha a la voix parfois très grave et parfois voilée comme celle d’une vieille fumeuse, sa musique est un havre accueillant, bien bordélique sur les bords. On sait qu’on y trouvera à boire et à manger, ce qui n’est pas étonnant puisque Ava dit que son grand talent est la cuisine et qu’elle adore régaler ses amis de véritables festins. Et si ça musique est presque un foyer, c’est aussi parce que c’est dans ce cadre que l’album a été conçu : la plupart des chansons portent sa signature et celle de Negro Leo, son mari, ou ont été composées ensemble. Même si c’est plus anecdotique, on y entend aussi la voix de Uma, leur petite fille.Pour un premier album sous son nom (le titre est d’ailleurs son vrai nom complet et sonne comme un avis de naissance), après avoir été la voix du groupe AVA, après être passée par le Teatro Oficina de Zé Celso, être réalisatrice (je ne l’ai pas encore précisé : elle est la fille de Glauber Rocha), Ava Rocha s’est bien entourée. Outre Jonas Sá qui produit l’album et offre le morceau « O Jardim » (pour Ava gardener ?), on retrouve les guitares de son frère Pedro Sá, ainsi que les autres membres de Banda Cê, le trio qui accompagne Caetano Veloso : Marcelo Callado (batterie, qui signe également le dernier titre de l’album, « Oceanos ») et Ricardo Dias Gomes (ici au pocket piano). Domenico Lancellotti (+ 2) propose également un morceau « Doce é o amor ».Sans jamais chercher à aller dans le sens du poil, volontiers bruitiste, l’album d’Ava Rocha où les chansons se construisent de leurs ruptures, où même le violoncelle peut être grinçant, invente son propre univers et défie les étiquettes, préférant se taguer « art music pop invention » plutôt que de s’ancrer dans un style. Si elle dit avoir beaucoup écouté Elizeth Cardoso, Gal Costa et Maria Bethânia, c’est à travers le prisme d’un esprit punk qu’elle s’en inspire et si elle est pop, c’est en accordant toute latitude à l’expérimentation.

Cette dimension aventureuse n’interdit pas la douceur, mais cette douceur n’est pas mielleuse. Elle est plutôt relevée comme du gingembre confit ou acide comme quelques gouttes de citron sur des fraises bien mûres pour utiliser une métaphore de cuisine. Si les ingrédients de base sont les mêmes que la plupart des albums de musique pop : guitares, basse, batterie, ils sont assaisonnés subtilement pour qu’on sente le goût de chaque et obtenir un son bien organique. Bien sûr, cela confère à l’ensemble une saveur très 70’s qui en fait le charme, on pense par exemple aux illuminations psychédéliques de Gal (« Você não vai passar »), aux jeux enfantins de Caetano période Joia (« Oceanos »).

Loin des productions formatées, Ava Rocha fait entendre au sens propre et figuré une voix résolument originale et signe ce qui est déjà et au moins un des meilleurs albums de l’année.

 Ava Rocha – Ava Patrya Yndia Yracema, 2015

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