Rencontre avec Kiko Dinucci et Romulo Fróes, deux des quatre membres du groupe Passo Torto, à l’occasion de la sortie de leur second album Passo Elétrico.
Une interview réalisée en juillet 2012 pour Matéria, et initialement traduite et publié sur notre autre blog, Berceuse électrique.
Contrairement à la majorité des groupes qui ont un compositeur qui galvanise le processus créatif, vous êtes quatre avec chacun, vos idées et votre poésie propre. Comment ça s’est passé pour trouver le point de convergence entre ces intérêts divers ?
Quelles sont les principales différences conceptuelles et musicales entre le premier et le second disque ?
Il suffit d’écouter Passo Elétrico pour arriver à la conclusion que la chanson est loin d’être morte. Qu’est-ce qui est mort, et qu’est ce qui vit dans la chanson brésilienne contemporaine? Que voyez-vous aujourd’hui au Brésil dans ce sens?
Romulo Fróes: Bien sûr ! On est ce qu’on écoute. Notre particularité est qu’on ne fait pas confiance en ce qu’on écoute, ahahah. C’est très fréquent dans tous nos travaux, nous ne croyons pas fidèlement dans la vocation de chaque chanson. S’il elle se présente comme une bossa nova, son harmonie sera entièrement détruite jusqu’à ce qu’il ne reste que les vestiges de l’influence qui lui a donné naissance. Si la mélodie veut être docile, les paroles suivent le chemin opposé, afin d’annuler la vocation naturelle de la chanson. De cette constante négation nait ce qui est le plus original dans nos travaux.
De la négation, notre travail s’affirme. Comme compositeur, il faut avoir beaucoup de maturité et de confiance pour se donner la peine de faire ce processus de déconstruction de son travail.
Sur l’aspect poétique, la différence entre le premier disque et Passo Elétrico me parait évidente. Avant, vous chantiez l’etrangeté de São Paulo avec une tonalité un peu amère, un peu sombre. Mais aujourd’hui il y a une irrévérence, une ironie bâtarde, toujours une ambiance sombre mais qui est aussi ironique.
Kiko Dinucci: C’est marrant, bien que le premier album était mélancolique, il était aussi plus solaire, il y avait plus de lyrisme, c’était une étrangeté diurne de la ville. Passo Elétrico est le diagnostic d’une ville malade, il n’y a pas d’espace pour l’espoir, il chante la mort de SP. C’est de notre absence d’espoir que surgit le regard plus mauvais et sarcastique. Une sorte de « va te faire foutre » comme quelqu’un qui sourit de sa propre mort, avec mépris.
En écoutant « Rárárá », ça m’a frappé qu’une samba comme ça, un peu d’avant-garde, est quelque chose qui ne se fait plus au Brésil depuis les expériences de Paulinho da Viola, Candeia et Elton Medeiros (avec Tom Zé). Au moins deux d’entre vous (Rodrigo et Romulo) venez de la samba. Comment percevez-vous le conservatisme qui perdure aujourd’hui dans ce genre, qui est une institution nationale?
Kiko Dinucci: L’idée de « Rárárá » était de faire une structure bien traditionnelle, lyrique. J’ai beaucoup d’expérience dans la samba. J’ai connu Rodrigo en jouant avec lui dans une ronde [de samba]. L’étrangeté de ce morceau sont les paroles, extrêmement sarcastique et violente. Je vois un chemin évolutif entre les grands sambistes de l’histoire: Sinhô, Donga, Bide et Marçal, Ismael [Silva], Noel [Rosa], le Cacique de Ramos et jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui les jeunes qui se disent sambistas prennent le témoin [de la course de relais] et le relancent dans le passé, comme si c’était la meilleure manière de le conserver. Je crois que la tradition vient de l’invention et s’adapte à l’époque actuelle pour survire. Aucun jeune ne va réussir à imiter Candeia, ni même Bob Dylan, il faut être honnête, être soi-même et assumer le « aujourd’hui » de son travail. Dans le même temps nous parlons de samba parce que nous avons de l’expérience dans ce genre, nous la respectons beaucoup, même si on dirait que non.
Pouvez-vous nous dire comment se sont passées vos concerts, et si vous avez prévu quelque chose pour Quintavant, les 28 et 29 [juillet] prochains ?
Romulo: Les concerts ont été particulièrement heureux pour nous. Passo Elétrico est un disque compliqué à jouer en live, à cause de la polyphonie des arrangements, des nombreux changements d’effet dans chaque morceau et de la jonction de toutes les voix produites par chaque instrument, une espèce de machine qui ne se réalise pleinement que quand elle est en parfait état de fonctionnement. Et ce qu’il s’est passé dans les derniers concerts, au point que nous sentons déjà l’envie de changer le fonctionnement de cette machine, pour emporter les arrangements vers des chemins encore inattendus.
C’est ce que nous souhaitons faire à Rio de Janeiro et si on s’amuse comme pour les derniers concerts, je suis certain que le plaisir sera partagé par le public.
Après le “passo torto” (pas tortueux) et le “passo elétrico” (pas électrique), où allez vous ? Quel est le prochain « passo » (pas) ?
Romulo: Le prochain pas sera toujours celui qui est devant nous. Le pas qui changera le pas précédent. Différent mais toujours « torto » !