Caetano Veloso – Tout nu

Version non censurée de la pochette de Jóia

Tout nu. C’est ainsi que Caetano Veloso, sa femme et son fils Moreno apparaissent sur la pochette de Jóia.  Il est vrai que le plus fameux des Bahianais ne s’était jamais dévoilé comme sur ce septième album.

Caetano Veloso a pourtant déjà montré ses tripes et ses couilles au monde entier. Il a fait exploser les barrières musicales avec le tropicalisme. Exilé à Londres par la dictature, il a défié les Anglais en produisant le chef-d’œuvre rock Transa. De retour au Brésil, il a montré qu’il ne s’était pas assagi en sortant Araça Azul, somme expérimentale qui poussait le mélange des genres et les audaces sonores jusqu’à l’inécoutable.

Suivent trois années de silence durant lesquelles Caetano Veloso accumule suffisamment de chansons pour sortir un double album, presque un passage obligé à l’époque. Mais comme il aime ne pas faire comme tout le monde, il décide plutôt de sortir deux disques simultanément, complémentaires et opposés comme les visages de Janus. Qualquer Coisa présente sa face extravertie, le musicien ouvert sur le monde qui reprend les Beatles et la grande péruvienne Chabuca Granda, l’interprète curieux de ses contemporains et compatriotes qui chante Chico Buarque et Jorge Ben.

Couverture de Joia après la censure

Couverture de Jóia après la censure

A l’opposé, Jóia montre sa face introvertie, intimiste, qui regarde vers l’intérieur du Brésil. Qu’on ne se trompe pas, il n’est pas question pour lui de retourner à la bossa nova de ses tous débuts. Il est toujours à l’avant-garde, mais cette-fois, il sait où il va ; il ne s’épuise plus en partant dans toutes les directions. Les arrangements se font plus sobres, construits autour de sa guitare, de sa voix, de percussions légères, complétés ici par un orgue (Lua, Lua, Lua, Lua), là par des flûtes (Pelos Olhos). On note aussi la présence à la guitare de son compère Gilberto Gil (Minha Mulher) et d’une kalimba (piano à pouces africain) sur Guá.

La profonde originalité de la musique affleure par petites touches, d’une rythmique étrange, d’un son, d’une mélodie atonale, mais n’est jamais démonstrative. L’ambiance est plutôt à la rêverie et à la méditation.  Les paroles sont construites autour de mots inlassablement susurrés, comme un mantra, avec la force calme du ruisseau qui à force de patience creusera la pierre. Caetano Veloso chante les oiseaux, la lune et le soleil, l’eau et le vent, et bien sûr l’amour comme sur le sublime Minha Mulher. Il se fait même prophète avec ce « chant du peuple de quelque part » d’une géniale simplicité qui fait penser à ces airs du folklore qui ont traversé les âges (Canto do povo de um lugar).

caetano-Joia

Même sur Jóia, on n’échappe pas aux Beatles, véritable obsession de Veloso. La pochette rappelle Two Virgins de John Lennon, et sera d’ailleurs censurée comme obscène ; il reprend leur tube Help! dans une version voix-guitare désarmante de premier degré. Les trois autres reprises prolongent au contraire l’inspiration rurale du disque avec la mise en parole de Pipoca moderna de la Banda de Pifanos de Caruaru, Asa tiré d’un chant de la tribu amérindienne Yudja, qu’il a découvert sur la captation ethnographique Xingu – Cantos e Ritmos et enfin Na asa do vento du grand musicien Nordestin João do Vale.

Jóia est sans doute le plus beau disque de Caetano Veloso. C’est aussi le plus brésilien. Nul hasard donc à ce qu’il se termine sur la mise en musique d’Escapulário, poème du moderniste Oswald de Andrade transformée en une tonitruante samba de carnaval.

Caetano Veloso –  Jóia. 1975. Polygram/Philips. En écoute sur youtube.

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