{"id":359,"date":"2014-03-11T10:17:14","date_gmt":"2014-03-11T09:17:14","guid":{"rendered":"http:\/\/la-musique-bresilienne.fr\/?p=359"},"modified":"2022-05-20T13:38:50","modified_gmt":"2022-05-20T11:38:50","slug":"joao-gilberto-chega-de-saudade","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/la-musique-bresilienne.fr\/2014\/03\/11\/joao-gilberto-chega-de-saudade\/","title":{"rendered":"Jo\u00e3o Gilberto – Chega de Saudade – Changement d’\u00e8re"},"content":{"rendered":"
<\/a>Comme l\u2019histoire de la peinture europ\u00e9enne se partage entre avant et apr\u00e8s Rapha\u00ebl, celle de la musique br\u00e9silienne moderne a comme point de pivot un 78 tours, Chega de Saudade<\/i>. Deux petites chansons seulement qui provoquent un s\u00e9isme artistique en 1958. Ce s\u00e9isme, c’est la bossa nova, litt\u00e9ralement, la \u00ab chose nouvelle \u00bb.<\/p>\n Les r\u00e9volutions musicales sont presque toujours provoqu\u00e9es par les compositeurs. Pourtant, c\u2019est bien un interpr\u00e8te, Jo\u00e3o Gilberto, qui porte la bossa nova. Ce n\u2019est pas un hasard si ce sont aussi des interpr\u00e8tes, Bill Halley et Elvis Presley, qui sont aux premi\u00e8res loges du rock’n’roll qui bouscule les \u00c9tats-Unis \u00e0 la m\u00eame \u00e9poque. Car avant d\u2019\u00eatre des nouvelles mani\u00e8res de composer, il s\u2019agit de nouvelles mani\u00e8res d\u2019interpr\u00e9ter et d\u2019arranger les m\u00eames bonnes vieilles chansons. Les musiciens de rock se servent de la nouvelle possibilit\u00e9 d\u2019amplification des instruments pour aller vers plus d\u2019\u00e9nergie, d\u2019efficacit\u00e9 et de simplicit\u00e9. La bossa nova effectue le chemin inverse. Elle \u00e9pure la samba et r\u00e9duit la taille des orchestres. Cela permet \u00e0 Jo\u00e3o Gilberto de chanter plus doucement et plus sobrement, contre les voix pleines de vibrato des \u00ab chanteurs \u00e0 voix \u00bb et des crooners. Cette mani\u00e8re de chanter sert d\u2019\u00e9crin aux harmonies raffin\u00e9es d\u2019Ant\u00f4nio Carlos Jobim et aux paroles de Vinicius de Moraes.<\/p>\n Si Chega de saudade<\/i> marque une rupture, ce n\u2019est pourtant curieusement le bapt\u00eame du feu d\u2019aucun de ses trois artisans. Le parolier Vinicius de Moraes a d\u00e9j\u00e0 une longue carri\u00e8re d\u2019ambassadeur et a publi\u00e9 plusieurs recueils de po\u00e9sie. Tom Jobim est pianiste dans des bars et travaille comme arrangeur pour le label Continental. Marqu\u00e9 par la samba et le choro, mais aussi par la musique \u00ab savante \u00bb (Debussy, Ravel, Villa-Lobos), il a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 enregistr\u00e9 quelques compositions o\u00f9 affleurent son sens aigu de la m\u00e9lodie et ses recherches harmoniques. Jobim a surtout compos\u00e9 l\u2019essentiel de la musique d\u2019Orfeu da Concei\u00e7\u00e3o <\/i>de Vinicius de Moraes, <\/i>une pi\u00e8ce de th\u00e9\u00e2tre qui <\/i>remporte un grand succ\u00e8s et que le r\u00e9alisateur fran\u00e7ais Marcel Camus adaptera en film, (Orfeu Negro). <\/i>Le morceau Chega de saudade<\/i> a m\u00eame d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 enregistr\u00e9 par Elizeth Cardoso quelques mois auparavant ! Beaucoup de pr\u00e9c\u00e9dents\u2026 et pourtant il marque bien une rupture.<\/p>\n <\/a>Cette rupture \u00e9clate quand on \u00e9coute les 78 tours enregistr\u00e9s par Gilberto en 1951 et 1952, aux c\u00f4t\u00e9s des Garotos da Lua et en solo. Ces disques r\u00e9sument bien la musique br\u00e9silienne pr\u00e9-bossa nova et auraient au fond pu \u00eatre enregistr\u00e9s deux d\u00e9cennies plus t\u00f4t. Alors que Chega de saudade<\/i> a vingt ans d\u2019avance, ou plut\u00f4t, comme toute grande musique, il n\u2019appartient \u00e0 aucune \u00e9poque.<\/p>\n C\u2019est qu\u2019entre 1952 et 1958, Jo\u00e3o Gilberto a bien chang\u00e9. Il n\u2019est plus l\u2019adolescent apprenant la guitare dans sa petite ville provinciale bahianaise, ni le jeune homme plein d\u2019ambition qui tente sa chance comme chanteur de radio \u00e0 Salvador puis \u00e0 Rio de Janeiro. Gilberto s\u2019est durant ces ann\u00e9es immerg\u00e9 comme personne dans la vie nocturne carioca ; il refuse de prendre un boulot alimentaire, mange et dort chez des amis au gr\u00e9 des invitations, \u00e0 la mani\u00e8re de Nelson Cavaquinho<\/a>. Ce perp\u00e9tuel invit\u00e9 ne manque cependant presque jamais d\u2019un toit, subjuguant ses h\u00f4tes par sa personnalit\u00e9 et sa musique. Les ann\u00e9es passent ainsi et quand il commence \u00e0 sombrer dans la d\u00e9pression qu\u2019il soigne \u00e0 grand renfort de cannabis, le salut vient d\u2019une invitation d\u2019un ami pour Porto Alegre dans le lointain Minas Gerais, puis de sa s\u0153ur \u00e0 Diamantina. Une p\u00e9riode o\u00f9 \u00e9loign\u00e9 de Rio, il renonce d\u00e9finitivement au cannabis.<\/p>\n C\u2019est \u00e0 cette \u00e9poque qu\u2019il met au point son jeu de guitare si original, o\u00f9 il reproduit avec son seul instrument, le fameux rythme 2\/4 de la samba bouscul\u00e9 par les percussions quasi polyrythmiques. Alors que la guitare samba joue habituellement des m\u00e9lodies en contrepoints, il se concentre sur les accords. Selon la l\u00e9gende, Jo\u00e3o Gilberto s\u2019enferme des journ\u00e9es enti\u00e8res dans la salle de bain pour profiter de sa bonne acoustique. Il r\u00e9p\u00e8te inlassablement de mani\u00e8re obsessionnelle, les m\u00eames accords et chante avec cette voix presque murmur\u00e9e, plac\u00e9e avec son sens du rythme hors pair. C\u2019est l\u00e0 aussi qu\u2019il \u00e9crit une de ses rares compositions Bim Bom<\/em>, qui deviendra la face B de Chega de saudade<\/i>.<\/p>\n Quand il revient \u00e0 Rio en 1956, Jo\u00e3o Gilberto a muri sa nouvelle mani\u00e8re de jouer de la guitare et de chanter. Il renoue rapidement avec les musiciens locaux et on le retrouve notamment dans l’appartement de Nara Le\u00e3o o\u00f9 se r\u00e9unissent alors une bonne partie des musiciens qui s\u2019illustreront dans la bossa nova. Tom Jobim est s\u00e9duit et invite Gilberto \u00e0 jouer de la guitare sur le disque Can\u00e7\u00e3o do Amor Demais<\/em> d’Elizeth Cardoso, exclusivement compos\u00e9 de morceaux de Jobim et Moraes.<\/p>\n <\/a><\/p>\n Enfin, apr\u00e8s de longues n\u00e9gociations – et l’appui de Dorival Caymmi – <\/a> Jobim convainc le label Odeon qui ne voit dans Gilberto aucun potentiel commercial, de produire un 78 tours. Il est enregistr\u00e9 avec un petit budget, m\u00eame si les exigences de Gilberto (jeu des musiciens, placement des micros…) qui deviendront sa marque de fabrique par la suite, font durer pendant plusieus jours l\u2019enregistrement de ces deux courtes chansons ! Les arrangements sont sign\u00e9s Tom Jobim bien s\u00fbr, avec Copinha \u00e0 la fl\u00fbte et Milton Banana \u00e0 la batterie. Le disque sort en catimini et passe inaper\u00e7u pendant plusieurs mois, avant de susciter enfin la curiosit\u00e9, d\u2019abord \u00e0 S\u00e3o Paulo pour d\u00e9ferler \u00e0 Rio de Janeiro peu apr\u00e8s.<\/p>\n Le disque est un succ\u00e8s commercial mais a surtout un retentissement extr\u00eamement fort dans le milieu artistique br\u00e9silien. A tel point que tous les grands noms de la musique br\u00e9silienne \u00e0 venir, Caetano Veloso<\/a> et Chico Buarque<\/a> en t\u00eates, rappellent comme un souvenir ind\u00e9l\u00e9bile, leur d\u00e9couverte \u00e9bahie de ce morceau. Tom Jobim peut m\u00eame \u00e9crire sans en rajouter sur la jaquette de son premier 33t qui sort l’ann\u00e9e suivante, \u00ab\u00a0Jo\u00e3o Gilberto est un Bahianais bossa nova de 27 ans… en tr\u00e8s peu de temps, il a influenc\u00e9 toute une g\u00e9n\u00e9ration d’arrangeurs, guitaristes, musiciens et chanteurs<\/em>\u00ab\u00a0.<\/p>\n Les disques et les classiques s’encha\u00eenent alors. Quelques mois plus tard, ils sortent un autre 78 tours, avec Desafinado<\/em>, une autre composition de Jobim qui deviendra un standard incontournable de la bossa, sur des paroles de Newton Mendon\u00e7a, l\u2019autre grand parolier de la bossa nova, et en face B une composition de Jo\u00e3o Gilberto. Un premier 33 tours suit en 1959, c’est Chega de Saudade<\/em> qui en plus des deux 78 tours rassemble Brigas, Nunca Mais<\/em> de Jobim\/Vinicius de Moraes, des morceaux de Carlos Lyra et deux des plus grands compositeurs br\u00e9siliens pr\u00e9-bossa nova, Ary Barroso et Dorival Caymmi<\/a>. Deux albums dans la lign\u00e9e suivent avec ce m\u00eame m\u00e9lange de morceaux de Tom Jobim, d’autres jeunes compositeurs cariocas et quelques sambas plus anciennes. C’est O Amor, o Sorriso e a Flor <\/i>en 1960 (avec Samba De Uma Nota S\u00f3, Corcovado<\/em>) et un disque sans titre en 1961 (Samba da Minha Terra, Insensatez, Coisa mais linda\u2026<\/em>). La gr\u00e2ce continue.<\/p>\n <\/a>Mais d\u00e9j\u00e0 un coup d\u2019\u00c9tat militaire cl\u00f4t la parenth\u00e8se optimiste et moderniste dont la bossa nova \u00e9tait la plus belle incarnation. La romantique bossa nova c\u00e8de la place \u00e0 ce qu’on allait appeler la MPB et au tropicalia, ses deux filles ennemies, tandis que les grands orf\u00e8vres de la bossa nova partent s\u00e9duire la plan\u00e8te. Jo\u00e3o Gilberto et Tom Jobim font une escale \u00e0 New York avec le saxophoniste Stan Getz <\/a>o\u00f9 ils chantent une certaine \u00ab\u00a0fille d’Ipanema\u00a0\u00bb qui gr\u00e2ce \u00e0 son parfum jazzy et des paroles en anglais conquiert les c\u0153urs des m\u00e9lomanes du monde entier.<\/p>\n Gilberto s’installera aux \u00c9tats-Unis o\u00f9 il continuera d’affiner ce son et cette sensibilit\u00e9 uniques toujours vers plus d’\u00e9pure<\/a>. Jobim se lancera dans une grande carri\u00e8re internationale en solo o\u00f9 il enregistrera notamment avec Franck Sinatra. Vinicius de Moraes s’illustrera aux c\u00f4t\u00e9s de Baden Powell avec ses fameuses Afro-sambas<\/a>. De belles et riches carri\u00e8res o\u00f9 chacun \u00e9gr\u00e8nera son lot de grands disques, mais jamais plus les trois ne seront r\u00e9unis comme ils l’\u00e9taient sur Chega de saudade.<\/em><\/p>\n Jo\u00e3o Gilberto – Chega de saudade<\/em>. Odeon. 1959. <\/strong>Acheter sur itunes<\/a>. Ecouter sur youtube<\/a>.<\/p>\n